L'homme qui vivait dans sa tête
1.thème : l'attente
2.Texte comportant des mots finissant par "dre"
3. ressenti sur image :
J'ai réalisé deux textes regroupant les 3 thèmes : un poème, puis un texte en prose qui complète celui-ci. Une explication de texte, en quelque sorte.
L'ATTENTE
Il aime, près du lac, rêver d’autres espaces,
Où le ciel est plus pur, où l’amour est plus vaste.
Après la mise à sac de sa vie qui s’efface,
C’est son nid le plus sûr, son décor le plus faste.
Il s’assied sur son banc, laisse ses yeux errer
Sur la surface lisse et calme de l’eau claire,
Se taire ses élans, se perdre et s’envoler
Ses peines et remords, ses regrets, ses chimères.
« C’est dans l’ordre des choses, tu as trop attendu
Pour sonder les mystères et secrets de ton âme,
Alors à présent ose. Non tout n’est pas perdu »,
Lui dit son cœur amer, prisonnier de sa dame.
Car il est amoureux, depuis longtemps déjà,
D’une femme au grand cœur, mais qu’il a fait souffrir.
Il sent sourdre en ses yeux les larmes de l’effroi
Au rappel du malheur qu’il lui a fait subir.
Maintenant il attend. Nuit et jour il attend.
Il attend son retour, tout en réalisant
Les mensonges patents qui peuplaient son présent
Et tuèrent l’amour, bien mieux qu’un ouragan.
Il savait autrefois coudre les sentiments
De ses rimes croisées, quatrains et libres vers,
Tant qu’il ne savait pas ce que c’était vraiment
Qu’un amour partagé, au vent libre et sincère.
A présent, l’encre bleue de sa plume engourdie
S’est figée dans ses veines et ne veut plus jaillir.
Résoudre de son mieux ce pénétrant souci
Pour soulager sa peine est bien son seul désir.
Oui, mais voilà : comment ? Elle seule a la clé
De son cœur de poète, en sa vie égarée.
Pourrait-elle vraiment un instant l’écouter ?
Pourrait-elle vraiment un jour lui pardonner ?
« L’amour est éternel, dit son cœur en soupir,
Il peut tout pardonner. Toutefois la supplique
Doit être solennelle, et bien sûr provenir
D’un repentir sacré, durable et véridique.
Pour appuyer ses mots, le zéphyr souleva
Les branches d’un bouleau qui fit trembler ses feuilles.
Dans le ciel, tout là-haut, une aigrette cria,
Et un soleil nouveau l’aveugla d’un clin d’œil.
Était-il donc venu ce temps tant attendu
Depuis la nuit des temps, sur l’onde mystérieuse
D’ouvrir enfin les nues en se mettant à nu,
Et de quitter ce banc pour une marche heureuse ?
Prendre un nouveau chemin, vivre un nouvel essor
Laisser dans le passé les peurs et les regrets.
Marcher main dans la main, vers une douce aurore
Ensemble communier avec le verbe aimer…
Comme tous les matins, à l’heure où le soleil commence à poindre à l’horizon, Léandre, surnommé « l’homme qui vivait dans sa tête », venait s’asseoir sur son banc favori, face au lac. Puis il laissait son regard nostalgique se perdre à la surface de l’eau tranquille, qui scintillait de milliers de pépites de lumière. Il se laissait bercer par la musique du vent mêlée au concert des oiseaux. À ses yeux, c’était là un chant divin à nul autre pareil, idéal pour sa méditation matinale. De temps en temps, en voyant sourdre hors de l’eau une carpe ou une reinette, il souriait. La nature avait le don de l’apaiser, au point de faire naître un sourire sur son visage constamment ridé de tristesse. En effet, « l’homme qui vivait dans sa tête » attendait depuis très longtemps que se réalise son rêve, ce rêve paradisiaque qu’il mettait en scène quotidiennement sur l’écran de ses nuits noires.
Finalement, l’attente infructueuse n’est-elle pas dans l’ordre des choses, parfois, lorsque que l’on a passé toute sa vie à rêver sa vie au lieu de l’incarner ? Car c’était bien ce que faisait Léandre. Et c’était bien pourquoi on le surnommait « l’homme qui vivait dans sa tête. »
Léandre avait beaucoup souffert dans son enfance. C’était à cette période qu’il avait appris à s’évader dans ses rêves. Lorsque la main paternelle s’abattait violemment et sans raison sur lui, telle la foudre implacable, il se dissociait immédiatement de son corps pour se réfugier dans sa tête. C’était comme s’il parvenait à se dissoudre dans l’espace pour rejoindre un autre monde. Là, il fermait les yeux et il attendait. Il attendait que s’apaise la colère de son père, tout en souriant aux oiseaux de son paradis virtuel.
Puis, parvenu à l’âge de l’adolescence, devenu grand et fort, il s’était rebiffé. Rendre les coups reçus n’avait jamais été une option envisageable pour lui, jusqu’à l’instant fatidique où il avait pris conscience de son gabarit et de sa force. Hélas, il n’avait pas fait que résister à son père, il s’était aussi vengé de ce qu’il avait subi sur d’autres personnes, des innocents la plupart du temps. De sorte que plus tard, et durant toute sa vie, l’on avait dit pis que pendre de lui. Il ne s’était trouvé personne pour le défendre. En revanche, il avait toujours trouvé sur sa route des individus aussi écorchés vifs que lui, prêts à en découdre avec lui et à lui rendre coup pour coup. Léandre avait dû se faire recoudre plus d’une fois. Ainsi, de fil en aiguille, il était devenu ce qu’à l’époque on nommait un « mauvais garçon ».
Jusqu’à ce qu’un jour, à l’occasion de l’une de ses nombreuses incarcérations, il rencontre un juge hors du commun qui l’avait sorti de son engrenage diabolique, et remis sur la bonne voie.
Résoudre son problème de délinquance n’avait cependant pas résolu celui de ses mauvais souvenirs. Ceux-ci étaient toujours là, bien présents, prêts à chaque instant à le happer dans leurs tentacules visqueux, telle une hydre vorace. Fort heureusement, les bons conseils du juge lui avaient évité de tomber dans le piège d’une dépendance à la drogue ou à l’alcool. Du cidre doux jusqu’au rhum, il avait banni tout alcool de ses murs.
Son addiction à lui était celle du rêve. Il rêvait tout le temps. La nuit. Le jour. Debout, assis, couché. Au travail ou pendant ses loisirs. Et même pendant le sport. Quand il courait, par exemple, il rêvait qu’il avait des ailes et qu’il s’envolait dans les airs.
Un jour il avait rencontré l’amour. Cela avait été un véritable coup de foudre. Mais comme il ne connaissait pas ce sentiment étrange qu’on ne lui avait jamais appris, il avait pris peur. Il n’avait pas su s’y prendre avec Mélissandre. Il s’était très mal comporté avec elle. Résultat : il avait fait fuir sa belle, qui avait pris peur à son tour. Malgré lui, Léandre avait saboté son couple comme il se sabotait lui-même depuis toujours, se jugeant indigne d’être aimé. « Que peut-on attendre d’un homme tel que moi, se répétait-il à longueur de temps. On ne peut rien construire sur des mensonges ni faire durer un couple sur des non-dits ».
Mais surtout, ce que Léandre ne supportait pas, c’était que la femme qu’il chérissait le plus au monde fût capable de voir aussi clair en lui tout en continuant à l’aimer malgré tout. C’était inconcevable pour lui. Elle les aimait, lui et ses démons intérieurs. Alors, il se sentait encore plus coupable. Il se voyait telle une ombre dangereuse pour cette merveilleuse lumière qui était entrée un jour dans sa vie. Aussi, pour sa tranquillité d’esprit et pour la préserver, il n’avait vu d’autre solution que celle de la fuite en avant.
Et depuis, il errait de lieu en ce lieu, tentant de trouver du réconfort dans la nature, particulièrement sur ce banc vermoulu qui avait épongé pendant si longtemps ses larmes d’enfant, d’adolescent, puis d’adulte, et maintenant d’homme mûr à l’automne de sa vie.
Trouverait-il un jour le courage d'avouer la vérité à Léandre et de lui demander pardon ?
MPV
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