L'aube fleurie

L'aube fleurie

Monsieur Réglo

Atelier de Ghislaine n° 258

Insérer les mots suivants dans un texte :

 

Sujet 1. Heure, tôt, tard, après, surtout, avant.

Sujet 2. Certaine, pourquoi, dans, autre, fois, selon.

Sujet 3.  Texte avec mots commençants par "" ou ""

 

J'ai regroupé les 3 sujets dans un même texte :

 

Monsieur Réglo

 

 

 

Monsieur Réglo

 

 

  « Avant l’heure c’est pas l’heure, après l’heure c’est trop tard ». Ainsi a l’habitude de scander Arturo d’une voix sentencieuse, tel un perroquet grincheux qui s'ennuie sur son perchoir.

 

  Arturo est ce que l’on nomme un homme à principes. Dans sa vie, tout est toujours hyper organisé dans les moindres détails, selon des règles très strictes, auxquelles il vaut mieux ne pas déroger si l’on veut rester dans ses bonnes grâces.

 Être toujours parfaitement à l’heure, à la minute près, est l’un de ces principes. Non pas que la ponctualité ne soit pas une bonne chose, évidemment, et bien au contraire, mais poussée à l’outrance, cela devient ridicule et finit par être pénible.  Or, Arturo n’est pas très tolérant dans ce domaine. Comme dans aucun autre, d’ailleurs.

  Ouverture d’esprit, compréhension, indulgence n’ont jamais fait partie de son vocabulaire. Surtout envers la gent féminine, même si la plupart du temps les hommes ont droit au même régime de faveur. Pourquoi cette mésestime particulière des femmes ? Ce mépris serait-il né lors de son séjour prolongé en Ouzbékistan, au contact d’un ouléma fondamentaliste ? Nul ne le sait. Quoi qu’il en soit, les femmes elles-mêmes, sans chercher à comprendre, n’ont de ce fait aucune indulgence envers lui non plus, et comme elles ont ici tout le loisir de pouvoir s’exprimer, elles ne se gênent pas pour donner leur opinion. Certaines d’entre elles le traitent ouvertement d’ours mal léché, d’autres de goujat, de brute épaisse ou de macho.

  Avec une certaine originalité et une mystérieuse compréhension du personnage probablement due à sa relation intime avec lui, l’une de ces femmes est même allée jusqu’à le qualifier avec une joie mauvaise « d’œuf non fécondé ». Vu le regard féroce avec lequel elle a prononcé ces mots, il était évident que c’était là l’ultime injure à ses yeux.

Une intellectuelle rebelle, sans doute… toujours en train d’essayer de résoudre l’énigme de l’œuf et de la poule…

 

  Quant aux hommes, ils ne sont guère plus magnanimes envers lui. Les plus modérés de sa génération le surnomment depuis longtemps avec un petit sourire narquois : Monsieur Réglo. Car ce leitmotiv du respect des règles, Arturo l’exige plus des autres qu’il ne se l’applique à lui-même.

  Les « orangs-outans » de sa caste, tels qu’Arturo les surnomme parce qu’il les trouve patauds et d’une intelligence limitée, le baptisent en retour du gentil sobriquet de « ouistiti d’opérette ».

  D’autres encore, plus modérés, le disent simplement « coincé ». Ce dernier terme étant d’ailleurs tout à fait approprié. En effet, au vrai sens du terme, Arturo est bel et bien coincé dans l’application de dogmes surannés qu’il ne cesse de vouloir imposer à toutes et tous au moyen d’injonctions péremptoires, lesquelles agacent quelque fois, fâchent bien souvent, et peuvent rendre furieux les plus impulsifs. Mais cela n’émeut nullement ce septuagénaire en fin de décade. Effectivement, en matière de relations humaines, comme ce dernier est persuadé d’avoir toujours raison, et ce depuis des décennies, il se donne volontiers la permission d’outrepasser allègrement ses droits, quel que soit le sujet.

 

  Son autre phrase fétiche étant « c’était bien mieux avant », il ne vous reste d’autre solution que de vous en remettre à ses choix et injonctions, puisque, eu égard à son âge, il est sans doute l’un des derniers Mohicans à savoir comment c’était avant. C’est-à-dire à l’âge où il était encore force de décision pour sa famille et ses amis autant que pour son pays.

  Fort de son expérience passée, Arturo se prétend grand sage, et il tient beaucoup à vous le faire savoir. Vous devez faire partie de ses ouailles attentives et obéissantes, ou bien vous pouvez passer votre chemin.

 

  Car là est le problème d’Arturo, ancien décideur à présent à la retraite, qui ne décide plus de rien du tout. Il y a bien longtemps qu’il n’est plus acteur de la vie publique, et comme il a quitté sa femme trente ans plus tôt, ne s’est jamais remarié ni n’a jamais voulu avoir d’enfants, il se retrouve seul à regretter sa vie trépidante dont il n’a rien oublié ni ne veut rien oublier, même s’il vit toujours dans la ouate, certes une ouate un peu tristounette et jaunie qui s’effiloche, mais qui lui convient parfaitement. Arturo n’a nul besoin de plus d’argent pour s’en sortir aisément. Et pour cause, il ne sort jamais de chez lui, accroché à sa pendule héritée de son grand-père, comme une moule à son rocher.

 

  Ce jour de ses 70 ans où on lui fit comprendre qu’il avait plus que dépassé l’âge de la retraite, et qu’il était temps pour lui de tirer sa révérence fut un choc, car il ne s’y attendait pas du tout. Pourtant, il ne réagit pas. Il ne fit absolument rien et continua son petit bonhomme de chemin comme s’il n’avait rien entendu. Cet autre jour où on lui signifia sans ménagement son renvoi définitif de la vie professionnelle, faute d’avoir obtenu son accord préalable, fut cette fois un ouragan dévastateur. Car en perdant sa carrière, son pouvoir, sa célébrité, sa gloire, ainsi que son ascendant sur les autres, il perdit tout. Il ne restait plus du lion rugissant que la crinière, sur un chaton tout mouillé, rescapé des eaux dans lesquelles on venait d’essayer de le noyer.

 

 Aujourd’hui, il ne possède plus rien de tout cela, ni même la reconnaissance de ceux qui le servaient à l’époque, puisqu’alors il était déjà aussi méprisant et despotique envers tout le monde qu’il l’est encore maintenant.

  À présent, la solitude lui pèse. Sa vie lui semble vide, et son problème majeur est qu’il ne sait pas comment la combler autrement qu’en vampirisant celle des autres.

 

  Voilà comment Stéfano, journaliste fraîchement diplômé, analyse la situation en ce jour fatidique à marquer d’une croix rouge sur son calendrier. En effet, le jeune homme est invité à dîner chez Arturo ! Ouaip ! Voilà bien un événement inattendu. Fabuleux. Exceptionnel. Et très étrange... Un honneur sans égal que l’aïeul n’accorde pas à tout le monde, loin de là ! Stefano devrait se sentir flatté. Et pourtant, ce dernier considère plutôt cette invitation comme suspecte.

  Ça cache sûrement quelque chose, se dit-il, connaissant le zigoto, un coup foireux, sûrement... ou peut-être cherche-t-il simplement à m’amadouer pour que j’écrive un article élogieux sur lui ? De toute façon, Stéfano a autant envie de se rendre chez Arturo que de sortir tout mouillé par -10°. Toutefois, son côté curieux et frondeur l’incite à accepter la convocation. Euh… pardon… l’invitation. Pourquoi lui est donc venu ce mot « convocation » ? Peut-être à cause de la manière dont est rédigée la petite carte trouvée dans sa boîte aux lettres ce matin-là, non ?  « Je vous prie de bien vouloir venir dîner chez moi le 30 septembre à 20h précise ». Quand même un peu spécial, le type… Toutefois, Stéfano se dit que le seul moyen de savoir ce que lui veut l’aïeul, c’est de se rendre chez lui.

 

  Seulement voilà, l’heure du rendez-vous est fixée à 20h. Or, s’il en juge par le fameux adage familier d’Arturo « Avant l’heure c’est pas l’heure, après l’heure c’est trop tard », Stéfano a tout intérêt à arriver à 20h pile au rendez-vous. S’il arrive après 20h, Arturo dira qu’il manque de ponctualité. Il ne se gênera pas pour l’assommer d’un interminable discours sur les valeurs à respecter, dont la ponctualité fait partie au premier chef. Il répétera au moins dix fois qu’arriver en retard est un manque de respect envers son hôte. Etc, etc.

  D’un autre côté, s’il arrive trop tôt, Arturo dira qu’il manque de savoir-vivre, car arriver avant l’heure ne se fait pas non plus. Au risque de passer pour un crevard ou un pique-assiette.  

 

  Alors que faire ? Il est 19h30 et il lui faut à peu près une demi-heure pour arriver chez Arturo, mais c’est difficile de calculer à la minute près. Si par bonheur il arrivait un peu avant l’heure, il pourrait attendre dans sa voiture qu’il soit 20h pile avant de sonner à sa porte… Oui mais… si jamais Arturo le voit de sa fenêtre ? Il aura l’air malin… Et si au contraire et par malheur il y a un embouteillage sur la route et qu’il arrive après l’heure ?

Ça me paraît bien compliqué… se dit-il en soupirant. Ai-je vraiment envie de me prendre la tête avec tout ça ?

 

  Finalement, le jeune homme décide de ne pas se rendre au rendez-vous. Il se dit que c’est encore la meilleure solution. Il sait bien que ce n’est pas l’idéal non plus, car après ce mémorable affront, sans aucun doute il se fera incendier par Arturo et traiter de mal élevé. Mais comme de toute façon aucun choix ne s’avère être le bon…

 

  Puis, tant qu’on y est… Stéfano ne décommandera pas non plus, car il lui faudrait se justifier et il n'en a pas envie. Et puis, dans tous les cas ça lui vaudrait une remarque désobligeante, alors...

  Il se dit, non sans ironie, que ça fera une petite surprise à Arturo dans sa vie monotone bien « réglée ». Et puis ça lui donnera une bonne raison de se plaindre, et lui laissera tout le temps de cogiter sur la longueur du temps et sur sa phrase adorée :   Avant l’heure c’est pas l’heure, après l’heure c’est trop tard ». À laquelle il pourra ajouter à présent : mais jamais c’est pas ouf   

 

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23/09/2025
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