Un père, une mère
Défi d'Evy n°248 : un père, une mère
Les dix mots à insérer :
Amour, Consolée, Tendresse, Malgré, Paix,
Courir, Chemin, Veilles, Enchaîne, Beau
Clara et Jules se rencontrent pour la première fois à une soirée organisée par des amis communs. Ils se plaisent immédiatement. On peut même dire qu’ils ont le coup de foudre l’un pour l’autre. Et pourtant, on ne saurait trouver, même en cherchant sur toute la surface de la terre, deux êtres aussi diamétralement opposés.
Clara est une jeune femme indépendante et libre, très ouverte d’esprit, farouche défenseuse de la condition féminine, sans pour autant être véritablement féministe au sens littéral du terme. Elle exerce la profession d’infirmière avec beaucoup de sérieux, de conviction et un bel esprit humaniste. Pour elle, l’attention bienfaisante, l’empathie, et pourquoi pas même la tendresse, sont tout aussi nécessaires au bien-être des malades que les médicaments qu’elle leur administre au quotidien. En ses heures de loisir, elle pratique beaucoup de sports, ayant à cœur de conserver une bonne forme physique. Elle a également deux autres passions : la peinture et le piano. Clara a une âme d’artiste. La création artistique est pour elle l’occasion de s’évader un peu de son univers professionnel pas toujours facile à vivre, et qui continue à la hanter lorsqu’elle rentre chez elle le soir. Comment avoir le cœur léger quand on vient de quitter une malade en phase terminale, avec laquelle on a eu le temps de tisser des liens affectifs sincères ? Car ainsi est Clara : elle aime les gens, et les gens le lui rendent bien. La raison en est simple : Clara est toujours prête à leur rendre la vie plus belle, surtout lorsque les personnes ont besoin d’être consolées. Les voir souffrir est aussi une souffrance pour elle, et elle a toujours estimé de son devoir de rendre leurs peines un peu plus supportables. En réalité, le temps d’une vacation à l’hôpital, elle est un peu leur mère à tous.
Jules est le gendre parfait. Du moins le prétendent toutes les mères du milieu bourgeois auquel il appartient. Il brille, autant par son physique que par son intelligence, son ambition et son sens des affaires. La société florissante dont il a hérité de son père et qu’il gère lui-même de main de maître, le met à l’abri du besoin pour de très longues années. À trente ans à peine, Jules est très riche, ce qui bien entendu est un atout encore plus important que les autres aux yeux de ses nombreuses prétendantes. Malheureusement pour ces dernières, Jules est aussi grand séducteur devant l’éternel. Il papillonne allègrement d’une fleur à l’autre, sans le moindre désir de se poser définitivement un jour sur l’une d’entre elles. L’amour, ce n’est vraiment pas sa tasse de thé. Il se garde bien des sentiments profonds, se méfie de tout ce qui ressemble de près ou de loin à une sensation amoureuse, ou même amicale. Il n’a guère de temps pour toutes ces choses-là, il a des affaires importantes et urgentes à régler.
Jusqu’à ce soir-là, où son regard tombe sur celui de Clara. D’un magnifique bleu qui vous donne l’impression de plonger dans le ciel. Il ne lui faudra que quelques secondes pour réaliser que cette jeune femme va compter plus que tout pour lui. Pourtant, il ne sait absolument rien d’elle. Elle n’est même pas son type de femme. Il ne comprend pas lui-même l’irrésistible attirance qu’il éprouve envers cette inconnue, mais c’est ainsi, et il ne va pas la quitter des yeux de toute la soirée.
Du côté de Clara, l’attirance est du même ordre, de même intensité. Aussi puissante, aussi irrésistible. Et aussi incroyable. Car Jules est exactement le genre d’homme qu’elle prend toujours soin d’éviter. Elle a le pouvoir de lire dans les êtres dès le premier regard, et cet homme-là est de toute évidence un séducteur.
Allez savoir pourquoi ou comment, l’un et l’autre vont se trouver des tas de points communs, malgré leurs différences. L’amour a ses mystères…
Ils vont se fiancer, puis se marier, au grand dam des aspirantes déçues qui rumineront cet affront pendant très longtemps. Ils vont s’accommoder de leurs différences et réussir à trouver un terrain d’entente où harmoniser le mieux possible leurs disparités. Clara continue à exercer son métier avec toujours autant de passion et d’empathie. Jules exerce le sien avec autorité, parfois même un soupçon d’autoritarisme qui ne laisse nulle place au sentimentalisme. Le couple se retrouve tous les soirs avec bonheur. De temps à autre, il leur arrive d’échanger à propos de leurs métiers respectifs, mais le plus souvent ils éludent le sujet dès qu’ils se sentent arriver sur un terrain dangereux.
Tout se passe relativement bien pour le couple. Leur amour passionné les fait flotter sur un petit nuage. Jusqu’au jour où Clara annonce à Jules qu’il va être père. Le jeune et ambitieux entrepreneur est alors soulevé d’une joie enfantine, ce qu’expriment on ne peut plus éloquemment son visage épanoui et son cri fougueux. Clara est tout aussi rayonnante, à la fois de savoir qu’elle porte un enfant en elle, mais aussi de voir la réaction spontanée de son mari, lequel ne l’a jamais habituée à autant d’effusions.
Mais elle va très vite déchanter, car dès les premiers jours de grossesse, Jules se croit investi du devoir d’affirmer son caractère. C’est que, être père vous confère des responsabilités. Il faut veiller absolument à ce que les choses se fassent correctement. On ne construit pas son chemin avec des « à peu près », surtout celui de parent. Pour lui, être père c’est avant tout aplanir tous les obstacles devant son enfant, lui préparer le parcours le plus beau possible, aussi finement découpé que de la dentelle, et molletonné. Il voit bien autour de lui comment cela se passe parfois dans les familles de ses collaborateurs : on enchaîne les oublis, les manquements, les erreurs, et un beau jour, lorsque l’enfant est devenu adolescent, tout part à vau-l’eau. Dans ce domaine comme dans d’autres, rien ne sert de courir, il faut partir à point.
Jules se met donc à échafauder des plans d’éducation avant même que son enfant ne soit né. Tout doit être impeccable, calculé au millimètre près. Tout comme les courbes de ses graphiques commerciaux. Et pour commencer, Clara devra quitter son travail d’infirmière. Être tout le temps debout pour une femme enceinte, ce n’est pas l’idéal. Passer son temps à compatir aux malheurs des autres non plus. Pas bon pour le moral, donc pas bon pour le bébé. Évidemment, Clara refuse catégoriquement. Elle aime beaucoup son travail, ne le considère pas du tout comme une contrainte, même depuis qu’elle est enceinte. Bien au contraire. Il lui semble même que porter un petit être en elle lui donne encore plus conscience de la nécessité de partager sa tendresse avec les autres. Elle le dit à Jules, lequel ne veut rien entendre. Il comprend son point de vue, mais il estime qu’elle est inconsciente, qu’elle ne se rend pas compte de son erreur. Un enfant a besoin de sa maman constamment près de lui.
Elle réfute ses arguments.
Il insiste.
Elle aussi.
Son ton devient autoritaire.
Elle le prend mal.
Il s’énerve.
Elle monte sur ses grands chevaux.
Première grosse dispute depuis leur mariage.
Si seulement l’un et l’autre pouvaient entendre ce que pense déjà leur enfant dans le ventre de sa maman :
une mère, un père, c’est l’amour qui s’offre à moi.
Une mère, c’est quelqu’un qui est là pour moi.
Un père, c’est quelqu’un qui est là pour moi.
D’une façon ou d’une autre, mais qui est là.
Tout le reste, ce n’est que du rab de tendresse.
MPV
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