L'aube fleurie

L'aube fleurie

Pas mon genre

Atelier de Ghislaine n°236

 

1.Insérer ces 6 mots dans un texte :

 

Monsieur, madame, rire, vivant, jour, suivant.

 

2.ou ces 6 autres :

 

Facile, mémoire, perdre, énergie, refuge, abus.

 

3.ou texte avec des mots se terminant par " age"

 

4.ou texte avec des mots commençant par " e "

 

5.ou un texte sur le thème : " chaleur, chaud, feu "

 

6.ou ressenti sur image

 

7.ou un texte libre

 

 

Vous me connaissez maintenant, j'aime me fixer des défis dans les défis. J'ai donc traité les 7 sujet en un :

 

 

 

   Vous est-il arrivé un jour de recevoir un appel téléphonique d’une personne inconnue, dont vous ne parvenez pas à déterminer le sexe au son de sa voix ? C’est très embarrassant, n’est-ce pas ? Vous hésitez alors entre un « Bonjour Monsieur » et un « Bonjour Madame » pendant de longues secondes qui vous paraissent interminables, pour finir par bégayer un vague « Bonjour Mmm gneu gneu… » qui ressemble plus au beuglement d’une vache qu’à un message de bienvenue.

 

   Eh bien c’est exactement ce qui arrive un matin à Emilio, à l’heure où il s’apprête à partir pour son travail. 

  Emilio est l’archétype de l’homme un peu « vieille France », très à cheval sur les conventions et les principes, les us et les coutumes. Qui plus est, il est extrêmement introverti, incroyablement timide et réservé, et bourré de complexes. Plus complexé que lui est tout simplement impossible. À tel point qu’il cherche refuge en permanence dans la solitude. Il évite les gens au maximum, et n’accepte que les invitations de personnes qu’il connait très bien. Et encore… il lui arrive même de refuser celles de ses propres frères et sœurs ou d’autres personnes de son entourage, les jours où il ne se sent pas au mieux de sa forme. Il préfère rester seul plutôt que de gâcher l’ambiance. Car il est extrêmement difficile de le faire rire, encore plus de lui faire perdre son sérieux, une posture qui représente pour lui un précieux bouclier contre le monde et ses dangers. À ses yeux, le fait même de parler est faire preuve d’un grand courage. Il est évident que dans ces conditions personne ne pourra le taxer un jour d’abus de langage. Le fait est qu’il a bien trop peur de blesser, il préfère donc se taire. Peur d’être moqué aussi. Au moins, s’il reste muet, personne ne pourra rire de ses bêtises. Mais il se rend bien compte que son mutisme permanent met plutôt les gens mal à l’aise.

 

   Le matin de l’appel téléphonique, en l’occurrence, c’est lui qui l’est, mal à l’aise, de ne pouvoir déterminer le sexe de son interlocuteur ou de son interlocutrice. Ce qui le met aussitôt en état de panique. Oui, oui, aussi extrême que cela puisse paraître, dans sa tête de timide maladif, c’est l’orage. Vite, vite, chasser les nuages et les éclairs pour tenter d’y voir plus clair. Dans son affolement, il sonde sa mémoire à toute vitesse, essayant de se rappeler à qui, parmi ses contacts pourrait bien appartenir cette voix, laquelle, au demeurant, est peut-être tout simplement faussée par un mal de gorge… ? Va savoir… Mais non, rien. Il ne voit pas du tout. Autant se rendre à l’évidence : il ne connait pas cette personne. Dommage… Quoi qu’il en soit, il va bien lui falloir opter pour un genre à un moment donné. Mais le féminin ou le masculin ? Là est la grande question. Déjà qu’il n’a pas du tout envie d’engager la conversation avec un ou une inconnu(e)… Or là, en plus, il nage en plein inconnu. La seule chose dont il soit sûr, et ce n’est déjà pas si mal, c’est qu’il s’agit d’un être vivant. Quoique… pas si sûr, après tout… c’est peut-être un robot ? Mais oui, bien sûr ! Voilà l’explication ! Voilà pourquoi il ou elle a une voix d’hybride !

 

   Puis, la personne en question l’informe du motif de son appel. Pendant tout le temps où elle est en train de s’exprimer, Emilio se concentre au maximum sur sa voix, avec l’énergie du désespoir, comme si c’était là une question de vie ou de mort. C’est la seule solution, car il ne peut tout de même pas demander à la personne de préciser si elle est un homme ou une femme ! D’autant qu’il pourrait très bien s’agir aussi d’un transgenre. Et de nos jours, il faut faire particulièrement attention à ce que l’on dit pour ne vexer personne et éviter de se faire lyncher sur les réseaux sociaux après avoir été taxé de racisme anti ceci ou cela. Suivant les mots que l’on emploie, on peut très vite se retrouver devant la justice en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.

 

  Emilio est tout en sueur. Il a chaud, très chaud, à force de se concentrer sur la diction et les intonations du « Monsieur-Madame ». On dirait que quelqu’un vient d’allumer un feu à côté de lui tellement il bout. Si ça continue, le téléphone va exploser dans ma main, se dit-il. Eh bien, au moins ça règlera le problème. C’est effarant, et terriblement gênant d’être émotif à ce point, se rabroue-t-il. Je m’en veux, mais je m’en veux !

   Et plus il s’en veut, plus il transpire. Encore un peu et il va devoir changer de vêtements avant de partir…

 

   Après quelques minutes de ce dialogue de sourds, Emilio finit par saisir quelques bribes de conversation : « vous pouvez passer au magasin ». Il en déduit que son interlocuteur ou interlocutrice – car il n’a toujours pas défini son genre – est un démarcheur – ou bien une démarcheuse, ou alors les deux… ? – en train d’essayer de lui vendre un produit, bien qu’il n’en soit pas sûr à cent pour cent. Le fait est que tout concentré qu’il est depuis le début sur la forme, toujours indéfinie, il n’a pas compris non plus le fond. Et voilà notre Emilio deux fois plus mal à l’aise à présent, car il ne sait toujours pas si c’est un homme ou une femme qui lui parle en cet instant, ni ne connait le motif de son appel. Que reste-t-il à faire dans ces cas-là ? Raccrocher tout simplement au nez et à la barbe de son interlocuteur-trice ? Non, jamais je ne pourrais faire une chose pareille, ce n’est pas mon genre, se dit-il, c’est bien trop discourtois. Surtout après avoir laissé la personne s’exprimer pendant plusieurs minutes.

 

  Aussi, Emilio prend une grande inspiration pour se donner du courage, avant de répondre d’une voix aimable à « Monsieur-Madame » :

— Désolé, Mumm…gneu gneu… je suis malentendant. Je ne comprends pas ce que vous dites, je vais devoir raccrocher.

Au moins, comme ça, il ou elle est averti(e) que je vais couper court à la conversation, se dit-il, rassuré, sans même que j’aie dû mentir tout à fait. J’ai bien « malentendu », n’est-ce pas ? ajoute-t-il à voix haute, comme si les yeux inquisiteurs d’un ou d’une inconnue quelque part dans la pièce étaient en train de le fixer d’un air accusateur.

 

MPV

 

 

 



16/04/2024
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