L'aube fleurie

L'aube fleurie

Journal d'une terrienne / 18/03/2016

18 mars 2016

 

     Un jour ordinaire sur terre. Du moins à l'instant où j'écris ces mots. Car on ne sait jamais si, dans quelques heures ou quelques minutes ne va pas surgir un nouveau 11 septembre 2001, un 7 janvier ou un 13 novembre 2015. C'est ainsi. Désormais, nous devons vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Ce que d'ailleurs, l'on ne cesse de nous marteler à longueur d'onde. "Pour l'instant, nous maîtrisons les choses, nous avons réussi à déjouer plusieurs attentats terroristes sur certains territoires, mais demain, mais tout à l'heure...?"

 

      Si l'on prend la peine d'y réfléchir, ces autres événements dramatiques que l'on craint de voir survenir de nouveau en Europe, ils existent bel et bien encore, en Syrie, en Turquie, en Tunisie, en Côte d'ivoire et ailleurs. Seulement, comme ils sont loin de nous, dans notre égoïsme, nous n'y prêtons que peu d'attention. Les dissensions et les guerres sont vieilles comme le monde. Aujourd'hui elles portent parfois un autre nom, et se manifestent différemment, c'est tout.

 

     "Ce monde est devenu fou" ; "je ne reconnais plus ce monde" ; "je ne me sens plus à ma place dans ce monde..." Combien de fois ai-je entendu ces réflexions ces derniers temps ? Et combien je les partage à certains moments !

 

       A l'heure où l'on parle de guerre et de bruits de guerre, partout dans le monde, à l'heure où l'humanité est menacée de toutes parts par les attentats meurtriers de fous fanatique ou le geste fatal d'un seul tyran assoiffé de pouvoir qui, d'un doigt appuyé sur une touche, peut faire disparaître une nation en quelques secondes, ici, en France, et en d'autres pays d'Europe, on continue à prendre des mesures qui défient le simple bon sens.

 

     On continue à laisser les grands industriels appliquer leur propre loi, celle du profit, du pouvoir et de l'opulence, aux dépend des plus faibles et des plus démunis. A l'heure où la banquise fond à la vitesse grand V, on les laisse polluer la terre, le ciel, les mers et les rivières, déboiser à outrance, appauvrir les sols... On les autorise à tuer à petit feu toutes les espèces, même l'espèce humaine, quand on les laisse asperger les sols de produits toxiques, dont les particules empoisonnent les cultures, les eaux, l'atmosphère... On laisse leurs produits miracles pour le rendement des sols rendre les gens malades, puis on les laisse vendre à leurs victimes des médicaments censés les soigner mais qui s'avèrent encore plus toxiques, allergènes et cancérigènes. Les lobbies font les lois et les assassins prospèrent...

 

      On ne protège pas les travailleurs de la terre, ces hommes et femmes grâce auxquels les populations peuvent se nourrir. Non seulement ne les protège-t-on pas mais on ne les entend pas non plus lorsqu'ils crient leur désarroi... Attend-t-on qu'ils disparaissent définitivement pour réaliser que nous avons besoin d'eux et que nous leur devons beaucoup ?

 

    On rédige des lois sur le travail, sans aucun discernement, sans aucune concertation, dans un contexte économique particulièrement difficile où le pouvoir d'achat ne cesse de diminuer, tandis que le chômage augmente. On nous parle comme à des enfants ignares en voulant nous faire croire que ces mesures visent à restreindre le chômage, alors qu'elles ambitionnent avant tout de faire fructifier les affaires de quelques-uns. En parlant de chômeurs, on oublie d'ailleurs les séniors. On décide de reculer l'âge légal de départ à la retraite, à l'heure où les entreprises invitent cordialement mais fermement leurs employés les plus âgés à aller voir ailleurs. Ces derniers se retrouvent au chômage à perpétuité, puisque aucun employeur ne veut recruter des personnes de plus de 50 ans. Qui plus est, on les culpabilise ensuite de ne pas se montrer un peu plus dynamiques dans leurs recherches d'emplois, alors qu'ils ressentent déjà un mal-être profond d'avoir été mis ainsi au banc de la société qui travaille. Mais vous comprenez, un chômeur de plus de 50 ans, c'est que ça grève le budget !

 

      Certes, je ne suis pas agrégée d'économie, mais je sais reconnaître un non-sens quand j'en vois un. Et les décisions irréfléchies pleuvent en ce moment comme la mousson à la saison des pluies... On voudrait leur dire, à nos dirigeants, élus par nous-mêmes, seulement... le peuple a-t-il encore une voix ? A-t-il encore une voie ? Et s'il avait encore une voix et qu'il réussissait à l'imposer, nos dirigeants, eux, décident-ils encore quoi que ce soit ou ne sont-ils que des robots obéissants à cette petite poignée de tout puissants qui se partagent les richesses de ce monde ?

 

      On est fier de vous annoncer les grands progrès accomplis ces dernières années, grâce à la robotisation généralisée, en occultant complètement le nombre faramineux de travailleurs qui ont été mis sur la touche et conduits au chômage et à la précarité à cause de cette modernisation. Puis, on vous annonce sans sourciller, et même parfois avec une certaine fierté, que cette robotisation a pris une telle ampleur et que l'intelligence artificielle a tellement progressé, qu'il se pourrait bien qu'un jour prochain l'homme se voie dépassé par la machine et gouverné par elle.

 

     Ce monde est fou, oui. Il n'y a pas d'autre explication que la folie, quand on considère l'être humain pour si peu de chose... On marche sur la tête, oui. Parfois, en me réveillant le matin, je me demande si mes pieds sont bien sur terre et ma tête dans les airs. Je me tâte pour voir si j'existe encore.

 

    Et malgré cela... quand j'entends les oiseaux gazouiller à l'appel du printemps, quand j'ouvre ma fenêtre et que je vois briller le soleil, quand je peux admirer les jonquilles, les arbres fruitiers en fleurs, en un mot les merveilles du renouveau, je me sens bien, précisément à ma place là où je suis, libre et heureuse. Pour rien au monde je ne voudrais être ailleurs que là où la providence m'a placée.

 

     C'est une impression étrange que celle de se sentir à la fois heureux et malheureux, libre et restreint, épanoui et inquiet, confiant et méfiant, satisfait et insatisfait... Car comment être pleinement heureux lorsqu'on assiste, impuissant, à l'exil de populations entières quittant leur pays en guerre, où tout est dévasté ? Comment rester serein quand on voit mourir leurs enfants, victimes innocentes de la folie de ce monde, quand on voit des familles entières déambuler dans la boue sur les routes glacées, et être rejetées de partout ? Comment ne pas ressentir dans sa propre chair la terrible souffrance et le désespoir de ces êtres déracinés ? Car, que nous le voulions ou non, nous sommes tous un, et chaque fois qu'un être souffre quelque-part, nous souffrons avec lui.

 

      Les jours où je me réveille de moins bonne humeur que les autres jours, plus mélancolique ou plus apathique, emplie de ce sentiment de lassitude de plus en plus présent au fur et à mesure qu'une partie de l'humanité tombe encore plus bas dans la cruauté, l'égoïsme ou la cupidité, tandis qu'une autre partie, beaucoup plus grande, souffre de plus en plus, je me dis que je n'ai pas le droit de me plaindre. Je n'ai pas le droit de geindre, de pleurnicher, de me lamenter... quand d'autres se battent pour survivre. En revanche, j'ai le devoir de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour venir en aide à mon prochain à chaque occasion. J'ai le droit et le devoir d'affirmer et de faire valoir tout ce qui va dans le sens de la liberté, de la justice et de l'égalité.

 

     J'ai le droit et le devoir de me réjouir de tout ce que la nature m'offre de beau, par le plaisir de la vue, de l'ouïe, de l'odorat, du goût et du toucher. J'ai le droit et le devoir de goûter la vie en ce qu'elle a de plus intense, sans me sentir coupable parce que d'autres n'ont pas ce privilège, mais sans les oublier non plus, ces autres, ces exclus, et en faisant tout ce qui est en mon pouvoir pour qu'eux-mêmes, puissent également jouir des mêmes bienfaits.

 

      C'est un droit dans le sens où chaque être humain a droit à la vie et à la liberté. Chaque être a le droit au bonheur et à l'expression de ce bonheur. On n'a pas le droit de lui voler cela. Pas plus en l'aliénant ou en l'affamant, qu'en le harcelant de pensées négatives et culpabilisantes. Mais c'est un devoir aussi, dans le sens où ceux qui ont besoin de notre aide et de notre soutien, doivent pouvoir se reposer sur des êtres forts et équilibrés. Et cette force et cette équilibre, nous les puisons en nous-mêmes quand nous parvenons à rester en contact avec la vie et donc avec tout ce que cette vie nous offre de meilleur.

 

 

 Martine



18/03/2016
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