L'aube fleurie

L'aube fleurie

C'est honteux !

La veille de Noël, un jour de froid glacial, un couple de sexagénaires est au supermarché, en train de faire ses achats pour le réveillon. Arrivés au rayon fruits et légumes, leur charriot déjà plein à ras bord de victuailles raffinées, ils lancent un regard méprisant aux salades défraîchies.

-          Non mais t'as vu ça ? rugit l'homme au faciès ridé de colère, c'est honteux de vendre des salades dans un état pareil !

-           Ouai ! renchérit sa femme, franchement…

Rouge d'indignation, la pauvre femme en perd ses mots. Puis, retrouvant très vite sa verve vindicative, elle ajoute, à l'adresse du magasinier qui se trouve un peu plus loin, en train de peser les fruits et légumes des clients, sûrement un peu trop basané à son goût :

-           C'est normal, avec des faignants pareils ! Qu'est-ce qu'il peut être faignant celui-là ! C'est pas croyable ! Depuis qu'il est là, c'est n'importe quoi ! Il est même pas foutu d'installer des salades fraîches !

Complètement ignorant de ce qui est en train d'être dit sur son compte, étant donné la distance qui le sépare de nos deux grincheux, le magasinier continue tranquillement de peser les achats des clients, arborant un beau sourire généreux et sincère qui n'a rien de commercial. L'indignation du couple infernal est à son comble. De rose, la carnation du visage de Madame Outragée devient rouge écarlate. Elle tient un os, elle ne le lâchera pas comme ça ! Elle insiste, en prenant à partie un client penché au-dessus des salades et qui s'apprête innocemment à en saisir une :

-          Et bien ! Vous n'êtes pas dégoûté ! Vous avez vu l'allure de ces salades ? J'en donnerais même pas à mes lapins !

A ces mots, le client, qui n'a pas perdu une miette des invectives de la harpie quelques instants plus tôt, se retourne tranquillement, lui fait face, la regarde bien au fond de ses yeux de vipère et lui répond :

-          Vous savez Madame, je suis réfugié politique. Je viens d'un pays désertique où rien ne pousse, où il faut faire des kilomètres à pied pour trouver de l'eau potable. Avec une seule de ces salades fripées, j'aurais nourri ma famille pendant trois jours.

Ravalant sa salive à la vue de cet autre basané qui pousse le culot jusqu'à oser lui parler, et haussant les épaules d'un air excédé, la harpie se retourne d'un seul bloc et file aussitôt rejoindre son mari. Ce dernier, n'ayant même pas attendu la fin de la phrase, est déjà en train de choisir quelques poires, deux rayons plus loin, la tête presque posée au milieu des fruits, tant il s'est penché pour cacher sa honte.

 

Toute ressemblance avec de personnages existants n'est, malheureusement, aucunement fortuite. 

Je ne sais ce qui, dans cette histoire, me choque le plus : la méchanceté ou la bêtise ?

 

Arc-en-ciel



20/01/2010
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