L'aube fleurie

L'aube fleurie

Un Noël pas comme les autres (5ème épisode)

                  

                   

  

 

 

 Marie continuait à se réchauffer tout doucement près de l'âtre, tandis que Thibault préparait le repas. Elle lui avait proposé son aide mais il avait gentiment refusé, l'invitant à se reposer, lui disant qu'elle en avait bien besoin. Et c'était vrai, cette marche dans la neige l'avait épuisée. Alors, elle profita sans retenue de l'hospitalité de son hôte et offrit son corps fatigué au réconfort du foyer. Très vite, elle eut tellement chaud qu'elle retira son pull et releva même les manches de son chemisier. Elle se sentait bien en cet endroit. Il y avait là, dans ce décor dépouillé du typique chalet de montagne, quelque chose de rassurant, de réconfortant. C'était comme si le bois des poutres et des meubles lui communiquait sa chaleur, sa force, sa robustesse, comme si la lumière du feu dans la cheminée l'éclairait de l'intérieur. Elle ne s'était pas sentie aussi bien depuis très longtemps. Elle était parfaitement détendue, confiante, sereine, et c'est de cet état de bien-être qu'elle glissa tout doucement dans le sommeil.

         Elle fut réveillée par le tintement des verres et des assiettes, que Thibault disposait sur la table, et réalisa avec effroi que ses bras étaient dénudés et dévoilaient l'évidence de son état : ils présentaient d'énormes ecchymoses et des traces encore purulentes de brûlures. Elle s'empressa de rabaisser ses manches, tout en se relevant prestement du fauteuil, comme une gamine prise en faute. Elle se demanda s'il avait vu ses marques ou s'il venait seulement de revenir dans la pièce.  La question qu'il lui posa confirma immédiatement ses craintes :

-         Je vous ai réveillée…désolé.

-         C'est moi qui suis désolée…répondit-elle, terriblement gênée. Mais il faisait si bon près du feu !

-         Ne vous excusez pas, vous êtes ici chez vous, détendez-vous, fit-il en la fixant d'un air à la fois grave et affectueux. Vous voulez vous reposer encore un peu, avant de passer à table ?

-         Non, non, ça ira, merci.

-         Bien, alors si on goûtait à nos délicieuses agapes ? proposa-t-il d'un air enjoué.

-         Volontiers ! fit-elle avec un grand sourire.

Elle était rassurée. Il n'avait rien remarqué, ou bien, s'il avait vu ses marques, il avait l'extrême délicatesse de ne pas lui en parler. Elle n'aurait pas à répondre à ses questions, le faire l'aurait mise très mal à l'aise. Car, comment expliquer à quelqu'un, aussi compréhensif soit-il, que votre compagnon vous frappe, vous fait subir régulièrement des sévices, et que vous vous laissez faire ? Combien de fois avait-elle entendu ces paroles de bon sens, avec lesquelles elle était parfaitement d'accord et que pourtant elle n'appliquait pas elle-même dans sa propre vie : « S'il se montre violent avec elle, il suffit qu'elle le quitte et qu'elle porte plainte contre lui ! Il existe beaucoup d'associations d'aide aux victimes de nos jours, les femmes battues sont protégées par la loi ! » Seulement voilà, ces hommes-là, quand ils vous tiennent…

Pourtant, en s'enfuyant de chez elle, elle venait de faire le premier pas, c'était déjà un bon début. Mais elle n'était pas encore prête à confier sa douleur à quelqu'un.

         Thibault la pria gentiment de s'asseoir à table. En guise de décoration, il avait posé deux bougies de chaque côté et mis les serviettes de table dans les verres.

-         Désolé pour l'ambiance de Noël, je n'ai pas mieux, s'excusa-t-il.

-         Pour moi, c'est déjà beaucoup, vous savez…

En prononçant ces mots, elle se rendit compte qu'elle était allée un peu trop loin, qu'il allait sûrement chercher à connaître la signification de cette réflexion. Mais cette fois encore, il ne posa aucune question et s'exclama simplement, en levant les yeux au ciel, avec l'expression de quelqu'un qui vient de trouver la réponse à une interrogation :

-         J'ai une idée ! Si on mettait de la musique ? Ca compensera le décor !

-         C'est une très bonne idée.

-         Je vais nous chercher ça, fit-il en se levant aussitôt.

Et il disparut de nouveau de la pièce.  Il revint quelques minutes plus tard, avec une demi-douzaine de CD et l'invita à en choisir un. Elle ne tenta même pas de faire preuve d'originalité et opta pour les chants de Noël. Elle avait toujours aimé ça et ce n'était pas avec son ex compagnon qu'elle aurait pu en écouter !

Ce fut donc au son de voix angéliques que Marie et Thibault dégustèrent en riant une bonne soupe de légumes, suivie d'une omelette aux pommes de terre. Il y avait des mois et des mois que Marie n'avait mangé quelque chose d'aussi bon, non pas qu'elle fût elle-même mauvaise cuisinière, mais parce que vu l'ambiance dans laquelle elle prenait ses repas tous les jours – quand elle en prenait – elle n'appréciait pas ce qu'elle mangeait et les aliments avaient même, le plus souvent un arrière-goût d'amertume. Ce soir-là, le repas lui avait été servi avec gentillesse par un homme qui ne la toisait pas d'un regard méprisant, qui ne lui parlait pas avec des mots durs, qui ne levait pas la main sur elle à chacun de ses faux pas, un homme qui la considérait avec respect et douceur et qui, de toute évidence, faisait tout ce qui était en son pouvoir pour qu'elle se sente bien.

Ils venaient de terminer leur omelette quand les lumières se mirent à clignoter, puis s'éteignirent.

-         Allez, encore une panne ! constata Thibault avec résignation. Heureusement que je suis équipé !

Il quitta la table et revint quelques minutes plus tard, muni d'un nombre impressionnant de bougies.

-         En effet, vous êtes équipé ! fit Marie.

-         Et vous n'avez encore rien vu ! Il y en a un carton plein à la cave ! Un jour, je me suis retrouvé bloqué ici pendant une semaine, sans électricité ! Alors depuis, je suis devenu prudent.

Marie sourit.

-         La panne ne va peut-être pas durer.

-         j'aime bien votre optimisme…

-         Alors donnez m'en quelques-unes, je vais vous aider.

Ils allumèrent et disposèrent les bougies un peu partout, sur la table, sur le rebord de la cheminée, sur la commode…puis Thibault proposa de terminer la soirée au salon, près du feu. Comme promis, il ramena une boîte de chocolats pour accompagner le café. Marie était en train d'en déguster un quand on entendit cogner à grand coup contre le volet. Elle sursauta et fixa son regard dans la direction du bruit, brusquement paniquée. Thibault surprit son regard et lui dit d'une voix ferme et douce à la fois.

-         Ne craignez rien, il ne viendra pas ici et s'il vient, j'en fais mon affaire.

Au son assuré de sa voix, son inquiétude disparut instantanément et elle le regarda, perplexe. Mais il ne fit que la rassurer encore, en lui expliquant qu'il s'agissait sûrement de son plus proche voisin, moins prévoyant que lui, qui venait lui emprunter quelques bougies. Et il ne s'était pas trompé. C'était bien son voisin, qui devait certainement être un peu sourd, vu la manière dont il avait toqué à la porte ! Thibault lui donna une dizaine de bougies, puis revint s'asseoir près de Marie.

-         Vous comprenez maintenant, pourquoi j'ai toujours beaucoup de bougies chez moi ?

Marie lui sourit.

-         Bon, maintenant, si l'on s'occupait un peu de ces vilaines ecchymoses ? poursuivit-il en dirigeant son regard en direction de ses bras.

Marie rougit. Elle ne s'attendait pas à cette question mais en même temps, s'il avait vu l'état de ses avant-bras, il était inévitable qu'à un moment ou à un autre, il l'interrogeât.

Il lui prit délicatement la main et de l'autre, tout en commençant à soulever sa manche, lui demanda :

-         Je peux ?

Sans répondre, elle opina de la tête. Alors il dénuda son bras jusqu'en haut et examina attentivement les plaies, sans qu'un muscle de son visage ne trahisse une quelconque émotion.

-         Il y en a d'autres ailleurs ? s'enquit-il, toujours calmement.

-         Oui, répondit-elle faiblement, en tentant de maîtriser le tremblement de sa voix.

-         N'ayez plus peur, tout va bien. Vous ne craignez plus rien ici. On va vous soigner et vous allez tout recommencer à zéro, d'accord ?

Sa voix était tellement douce et assurée qu'elle n'eut aucun mal à croire à ce qu'il venait d'affirmer. Elle répondit sans hésitation à l'affirmative, en soutenant son regard, un regard qui contenait beaucoup plus que de la simple compassion, un regard qui fit résonner en son cœur un sentiment nouveau, venu d'un autre monde, un sentiment indescriptible de bien-être total, et la sensation étrange, émouvante et rassurante d'avoir trouvé son chemin.

Les yeux dans les yeux, au centre de ce décor magique de flammes vacillantes et de musique angélique, Marie et Thibault vécurent en cette minute-là, le réveillon le plus extraordinaire de toute leur vie.

 

A suivre...

 

 

 

 

   
 


08/12/2010
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