Un Noël pas comme les autres (2ème épisode)
Marie était recroquevillée sur elle-même, ses bras enserrant ses deux jambes repliées sur la poitrine. Elle sanglotait. S'il réussissait à enfoncer la porte, cette fois, il la tuerait, c'était sûr. Elle l'avait mis dans une fureur monstre, en refusant, pour la première fois depuis deux ans qu'ils se connaissaient, d'obéir à l'un de ses ordre. Mais ça avait été plus fort qu'elle. Quand il l'avait traitée de bonne à rien en constatant qu'elle avait oublié d'acheter du vin blanc pour le réveillon, et qu'il lui avait demandé d'approcher de lui, une voix s'était fait entendre à l'intérieur d'elle-même, lui intimant l'ordre de dire non. Non aux brimades, non aux insultes, non aux coups ! Ne se reconnaissant plus elle-même, elle avait soutenu son regard aviné et lui avait donc répondu calmement : « Non ». Fou de rage, il s'était mis à hurler : « Viens ici tout de suite ou je te démolis ! » « Non ! » s'était-elle entêtée, tout en tournant autour de la table pour l'éviter. Il avait couru après elle, mais vu l'heure, comme il en était sûrement à sa troisième ou peut-être même à sa quatrième bouteille, il titubait, se cognait à tous les meubles et ne parvenait pas à la rattraper, ce qui d'ailleurs, avait décuplé sa colère.
Marie avait réussi à se faufiler jusqu'à l'escalier, avait monté les marches quatre à quatre, s'était ruée dans la chambre et s'était enfermée à double tour. Maintenant, il frappait à grands coups de poings et de pieds dans la porte, lançant insultes sur insultes, la menaçant du pire si elle n'ouvrait pas. A chaque nouveau coup dans la porte, elle enfonçait un peu plus sa tête dans ses bras et priait sans trop y croire, qu'il ne parvienne pas à ses fins, qu'il tombe d'épuisement et finisse par s'endormir.
Au bout d'un moment, les coups cessèrent subitement et le silence retomba de l'autre côté de la porte. Marie se demanda ce qu'il était en train de mijoter. Quelques minutes plus tard, elle poussa un soupir de soulagement en l'entendant ronfler. Elle ouvrit la porte avec précaution et le vit allongé sur le palier, profondément endormi. Il sentait l'alcool et la sueur, ses vêtements étaient sales et négligés. Pour la première fois, elle le vit tel qu'il était : un être répugnant, un fainéant et un lâche qui se vengeait de sa propre médiocrité en frappant sa compagne. « Comment ai-je pu aimer un tel homme, se dit-elle, comment ai-je pu supporter tout ça sans broncher ? Comment ai-je pu croire à ses fausses promesses de changement ? « Cette fois c'est fini, lui promit-elle en son for intérieur, jamais plus tu ne lèveras la main sur moi, jamais tu ne me reverras ! »
Elle enjamba le corps de son tortionnaire, prenant bien garde de ne pas le réveiller, descendit l'escalier en évitant la marche qui grinçait, saisit son manteau, son bonnet et son écharpe, enfila ses bottes, prit une lampe torche, et sortit dans la neige, ce soir glacial du 24 décembre, où elle avait enfin fermement décidé de reprendre sa liberté.
Elle se mit en marche, en direction du village, où, espérait-elle, une bonne âme lui viendrait sûrement en aide. Un soir de Noël, on ne peut pas laisser quelqu'un tout seul dans le froid… La neige était épaisse et glissante, et le vent glacial. Après quelques minutes de marche, le froid avait déjà réussi à transpercer ses vêtements. Il faut dire qu'elle n'avait pas eu le temps de chercher son épaisse doudoune et dans sa hâte à s'échapper, s'était contentée de saisir au vol le manteau qui pendait à la patère. Il était chaud mais pas suffisamment pour la protéger du froid particulièrement cinglant de ce soir-là. Elle n'avait pas pris de gants non plus et les mains crispées tout au fond de ses poches, elle se maudit d'avoir négligé ce détail important. Elle avait du mal à reconnaître les lieux autour d'elle. La neige était tombée en abondance tout l'après-midi, de plus il faisait déjà noir, et même avec sa lampe-torche, elle avait beaucoup de mal à suivre la route.
Comme si ça ne suffisait pas à l'inquiéter, voilà que la neige se remit à tomber, tandis que le vent soufflait avec encore plus de force et lui cinglait le visage. Elle avait de la neige dans les yeux et ne distinguait plus rien d'autre, à travers le halo de sa lampe-torche, que l'éclat lumineux des flocons qui tombaient en rafale. Très vite, elle ne reconnut absolument plus rien du paysage qui l'entourait et fut contrainte d'accepter l'angoissante évidence : elle était perdue. L'espace d'une seconde, elle faillit succomber à la tentation de craquer. Mais elle se retint. Si elle perdait son sang-froid (c'était bien le cas de le dire d'ailleurs), elle était perdue, dans tous les sens du terme, alors que si elle continuait d'avancer, elle finirait bien par trouver une solution, par arriver quelque part où quelqu'un lui viendrait en aide…
Peu convaincue de ce qu'elle tentait désespérément de croire, elle continua d'avancer, se battant contre le vent implacable qui semblait fermement décidé à la contrer. De temps en temps, elle pointait sa lampe-torche autour d'elle, tentant de percer l'obscurité, rêvant d'y trouver quelque chose, quelqu'un… Mais rien, rien que le blanc immaculé et le noir au-dessus. Comme si tout s'acharnait contre elle, la lampe-torche s'éteignit. Elle tenta vainement de la rallumer, la secoua dans tous les sens, en vain. HS, elle aussi ! Décidée à ne pas capituler, elle avança encore (quoi faire d'autre de toute façon ?). Ses yeux finirent par s'habituer à l'obscurité, elle se rendit compte alors que le faible rayon de lune de cette nuit-là, même s'il n'éclairait que faiblement, suffisait à lui permettre de voir au moins ses pieds dans la neige. Alors elle avança encore, contourna un mont plus haut que les autres, vira à gauche, et là, à deux cent mètres à peine, vit la lumière d'un chalet dont la cheminée fumait…
A suivre...
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