L'aube fleurie

L'aube fleurie

Un magique contretemps / 3ème épisode

Comme prévu, le 24 décembre, Alice s’installa à sa place dans le TGV, de très bonne, et même d’excellente humeur. Selon toute vraisemblance, le train allait partir à l’heure prévue, malgré les conditions météo particulièrement difficiles. Il avait neigé sur toute la France durant les deux derniers jours et beaucoup de routes étaient bloquées par les congères. Elle avait craint qu’il n’y ait quelque problème sur sa ligne, mais apparemment, si tout allait bien, elle arriverait à l’heure prévue à Chambéry : 18h58 exactement. Dans huit petites heures, elle allait retrouver Elodie, sa petite sœur de cœur, sa seule famille. Les deux jeunes femmes s’étaient connues à l’orphelinat et si Elodie avait trouvé une famille d’accueil, Alice, elle, n’avait pas eu cette chance. Mais toutes les deux étaient restées très liées et Elodie n’oubliait jamais d’inviter son amie aux fêtes de famille.

Le train allait partir, quand une voix peu amène la tira de ses réflexions :

-          Il n’y a personne à côté de vous ?

Elle releva la tête et découvrit au-dessus d’elle un visage renfrogné et deux yeux noirs qui la fixaient intensément, dans l’espoir évident qu’elle réponde non. L’impolitesse de l’homme égratigna instantanément la bonne humeur d’Alice, qui  choisit pourtant de répondre par l’humour :

-          Si, si, l’homme invisible.

L’inconnu amorça un sourire crispé, puis se rendant sans doute compte de sa muflerie, se radoucit et ajouta :

-          J’ai besoin d’une prise pour mon ordinateur et il n’y en avait pas à ma place. Ca vous ennuie si je m’assieds à côté de vous ?

-          Non, pas du tout... «Vous avez l’air tellement charmant… » ironisa-t-elle en elle-même.

« Super ! 800 kms à côté d’un gougeât… c’est bien ma veine ! s’énerva-t-elle intérieurement. Bon… voyons le côté positif des choses… je n’aurai pas à chercher un sujet de conversation… »


Sans plus attendre, Alice chercha dans son sac le dernier roman qu’elle avait commencé deux jours avant. C’était une histoire captivante.  Avec ça, elle était sûre que les six heures de train lui paraitraient moins longues. Au moment où elle prit le livre entre ses mains, elle surprit le regard dédaigneux de son voisin en direction de la couverture. « Génial !  se dit-elle, imbu de sa personne, par-dessus le marché ! »

-           Eh oui, je préfère les romans aux chiffres et aux graphiques ! lui lança-t-elle en regardant à son tour l’écran de son ordinateur.

Il ne répondit pas, levant  seulement un sourcil étonné, visiblement décontenancé  par sa réaction véhémente.

-          Autre grimace à exprimer ? demanda Alice  avec insolence.

Toujours pas de réponse. Le gougeât allait sûrement la laisser tranquille à présent. Elle sourit de sa propre audace et se plongea avec délectation dans la lecture du cinquième chapitre.


A peine quelques minutes plus tard, elle entendit grogner son voisin. De toute évidence, le gamin assis derrière lui, donnait des coups de pieds dans son siège, ce qui l’énervait au plus haut point, et qui fit sourire Alice malgré elle. Non content de taper sur le siège, le garçonnet joignit la parole aux gestes et se mit à pousser des cris d’énervement.

-        Mais c’est pas vrai ça ! s’énerva l’homme aussitôt, en se retournant vivement, rouge écarlate.  Puis, s’adressant à la mère du petit :

-       Vous ne pouvez pas le faire taire ? 

Posant le livre sur ses genoux, Alice se tourna alors vers lui et ne put s’empêcher de lui dire :

-        Mais calmez-vous un peu, enfin... Vous êtes toujours comme ça ?

-        Vous, mêlez-vous de ce qui vous regarde ! aboya-t-il, c’est pas votre dos qu’on tabasse depuis un quart d’heure !

-       Non mais vous n’avez pas l’impression d’en faire un peu trop là ? "Qu'on tabasse..." Effectivement, ce n’est pas mon dos qu’on « tabasse », comme vous dîtes, mais c’est moi qui supporte les grognements d’un ours à côté de moi, quand je voudrais bien pouvoir lire tranquillement. Donc, si vous avez envie de retourner à votre place, ne vous gênez surtout pas !

-          Je ne bougerai pas d’ici, que ça vous plaise ou non. Lisez votre bouquin et fichez-moi la paix ! J’ai pas que ça à faire, moi, je bosse en ce moment, figurez-vous !

-          Ôtez-moi d’un doute… vous ne voyagez pas pour le plaisir là, vous n’allez pas réveillonner ? Parce que l’esprit de Noël, vous l’avez perdu en route, ironisa Alice.

-          Laissez mon esprit de Noël où il est, s’il vous plaît, et arrêtez de me casser les oreilles.

Au moment où Alice s’apprêtait à répondre, son téléphone l’avertit de l’arrivée d’un message. Bienheureux dérivatif à la colère qui était en train d’enfler.


«  Coucou p’tite sœur ! Ca va ? Tu es dans le train ? » disait le texto.

« Oui, le train est parti à l’heure, répondit Alice. Par contre, je suis placée à côté d’une espèce de mufle, j’te raconte pas ! Je vais sûrement craquer avant ce soir ! »

« Craquer ? Craquer comment ? Tu fais dans le sado-maso maintenant ?  lol ! »

« Mais non, t’es bête… mdr ! Craquer dans le sens péter les plombs. Ce type est complètement givré. Il serait prêt à tuer pour terminer un fichu travail sur son ordi ! Je te jure, j’ai tiré le gros lot !»

« Esprit de Noël, copine, esprit de Noël ! Reste zen, je t’attends avec une médaille :) »

Alice ne put s’empêcher de sourire.

« A tout à l’heure, je t’envoie un message quand on sera prêts d’arriver, envoya-t-elle. Bisous»

« Ok, bisous. »


La suite du trajet fut rythmé par les mêmes grognements intempestifs, chaque fois que le petit garçon de derrière riait un peu trop fort. A un moment, le voisin d’Alice s’absenta. La maman du petit en profita aussitôt pour la questionner :

-          C’est votre mari ?

-          Absolument  pas ! s’exclama-t-elle d'un air outré. Et s’il vit en couple, je plains sincèrement sa compagne, ajouta-t-elle, moqueuse.

-          Oui, moi aussi, répondit la dame, quel gougeât !

-          C’est le mot, je n’avais pas rencontré quelqu’un d’aussi désagréable depuis ma dernière visite au zoo. Vous savez…du côté des grands mammifères à poil noir là… ceux qu’on appelle les ours !

La maman éclata de rire et le petit, qui jusque là se retenait, en fit autant, deux fois plus fort.

-          Heureusement qu’il n’est pas là, fit-elle entre deux hoquets.

-          C’est sûr ! répondit Alice, éclatant de rire à son tour. Il serait offusqué !


Quand le voyageur revêche revint à sa place, les deux femmes en pleuraient de rire et le garçonnet était au comble de l’énervement. Le regard noir que leur lança l’ours était on en peut plus éloquent et arrêta instantanément leur bonne humeur.


Alice envoya un texto à son amie : « Je n’en peux plus, là… je crois que je vais déclencher l’alarme, lol ! »

 

 

 

 

 A suivre...

 

 



19/12/2012
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