Un magique contretemps / 2ème épisode
Pour la troisième fois, Julien relut le premier paragraphe de son rapport. Il ne parvenait pas à se concentrer, et il était plus que probable qu’il n’y parviendrait pas de toute la soirée, car il venait juste de se disputer avec sa mère, au téléphone. Elle voulait à tout prix qu’il vienne passer les fêtes de Noël avec elle. Et Noël était une fête sacrée… et Noël, c’était fait pour se retrouver en famille… et patati et patata… « Franchement, elle ne se rend pas compte ! fulminait-il, j’ai du boulot, moi, des échéances à honorer ! Elle ne réalise pas les enjeux ! Comme si j’avais deux jours de travail à perdre ! »
Cinq minutes plus tard, il culpabilisait déjà d’avoir envoyé sa mère sur les roses. C’était chaque fois la même chose : il était tiraillé entre ses devoirs de responsable et ses obligations familiales. Une fois de plus, ce fut sa mère qui gagna la partie. Il capitula. Il saisit son téléphone et l’appela pour lui dire que finalement, il viendrait la voir pour Noël… mais quatre jours, hein, pas un de plus !
Dès qu’il eut entendu le ton apaisé de sa mère, Julien se replongea dans la lecture de son rapport, puis se remit à taper frénétiquement sur les touches de son clavier. Il avait ainsi trois rapports à rendre, dont le premier dans deux jours et le dernier huit jours plus tard. Il n’avait donc pas une minute à perdre, surtout que maintenant, il allait devoir s’occuper de réserver un billet de train, faire des achats de Noël… Il voyait d’ici la tête de sa mère s’il n’arrivait pas avec un cadeau pour chacun de ses frères et sœurs, neveux et nièces… « Vraiment, il ne manquait plus que cette fichue fête de Noël pour me retarder dans mes projets ! » ronchonna-t-il encore. J’espère au moins que tante Marcelle ne sera pas là, je ne peux plus la supporter celle-là, avec ses cancans et ses manies de vieille pie curieuse… « Bon, inutile de penser déjà à ça maintenant, se dit-il à lui-même, tu t’égares là, ne perds pas ton temps ! »
Il termina tant bien que mal le troisième paragraphe, mais ne réussit pas à aller plus loin ce soir-là. Il n’arrêtait pas de penser à tout ce qu’il allait devoir faire avant de partir, et cela le stressait un millier de fois plus que tous les rapports possibles et imaginables. Il referma donc son dossier et se mit en quête d’un billet de train, sur Internet. Quand il l’eut réservé, il commença à réfléchir aux cadeaux qu’il allait acheter pour les uns et pour les autres. Quel casse-tête ! Quand Lise était encore là, c’était elle qui s’occupait de tout ça. « Seulement voilà, pensa-t-il avec tristesse, Lise est partie. » Lise était comme toutes les femmes, pensait Julien, toujours à vouloir qu’on délaisse ses priorités pour s’occuper d’elles. « Et moi, d’après elle, je suis soi-disant marié avec mon travail… Résultat, elle s’est trouvé quelqu’un de plus disponible. Eh bien, grand bien lui fasse ! Bref, maintenant, c’est moi qui dois aller à la chasse aux cadeaux… Bon, on verra ça demain », finit-il par conclure en son for intérieur.
Julien abandonna ordinateur et rapports, et se dirigea vers le congélateur. Il y piocha au hasard un des plats tout préparés qu’il avait achetés la veille et l’enfourna aussitôt dans le micro-ondes. De toute façon, il n’avait pas très faim, cette histoire de Noël lui avait coupé l’appétit. Qui donc avait inventé cette fête d’un autre âge qui semblait tourner la tête à tout le monde ? Quand il lui arrivait de ne pas penser au boulot et de regarder les gens autour de lui, il ne voyait qu’affairement, fébrilité, énervement même, parfois, dans les rayons des supermarchés. La foule l’oppressait, encore plus la foule en stress. Parfois, il avait l’impression d’être sur le point d’assister à un carambolage de caddies, tellement les gens les maniaient avec le minimum de précautions, complètement indifférents aux autres autour d’eux, du moment qu’ils pouvaient atteindre ce dernier bloc de foie gras en promotion ! « Tu te fais du mal, mon vieux, se sermona-t-il, tu ne pourras pas y couper, à ces courses, de toutes façons, alors positive, ce n’est qu’un mauvais moment à passer. »
Julien avala son poulet Basquaise en cinq minutes, avant de reprendre son rapport là où il l’avait laissé. Comme tous les soirs, il n’alla pas se coucher avant une heure du matin - et il se levait tous les jours à six heures - Mais c’était pour la bonne cause, comme il se plaisait à le répéter quotidiennement…
A suivre...
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