Transition
Depuis plus de vingt ans maintenant, je suis coach sportif bénévole dans une association de ma commune qui propose à ses adhérents de la gymnastique et de la danse. Évidemment, comme partout en France et en tous les pays touchés par le Covid 19, toute activité sportive a été interrompue depuis le premier jour du confinement. Hier soir s’est tenue une vidéoconférence avec les membres de l’association et tous les coachs. La grande question à l’ordre du jour était, naturellement, de fixer la date et les modalités de reprise. Chacun des participants a été invité à présenter ses propositions et à poser ses questions.
Ce qui m’a frappée tout d’abord, c’est la fatigue sur les visages de personnes habituellement pétillantes et enthousiastes. Le confinement a quelque chose de corrosif pour les esprits… Chacun avait des idées sur la question, naturellement, mais vu les circonstances, ne parvenait pas à les mettre en valeur, car personne n’arrivait à se projeter. Là, je me suis fait une première réflexion : la capacité de se projeter est absolument capitale pour un être humain, c’est son moteur. Coupez les ailes à quelqu’un, dans quelque domaine que ce soit, particulièrement dans le domaine artistique, et vous éteignez en même temps sa lumière. J’ai été spécialement émue par l’intervention d’un instructeur de danse, aide-soignant de profession (je précise que nous habitons dans le nord de la France, l’une des régions les plus touchées par le virus). Lorsque lui a été posé la question de savoir comment il envisageait la reprise (laquelle, en ce qui nous concerne, ne pourra de toute façon pas se faire avant septembre), il a répondu d’un air triste et désabusé qu’il ne savait pas du tout s’il pourrait même reprendre, au vu de la situation et des pronostics peu optimistes qu’il pouvait en faire. Il lui était impossible de dire s’il pourrait se libérer, puisque la presque totalité de son temps était réservée aux malades du Covid. Pour lui, rien ne sera réglé en septembre et nous devrons sûrement tous porter des masques jusqu’à la fin de l’année. En conclusion, comme pour mieux réaffirmer son incapacité à se projeter dans ce domaine de la danse, devenue à ses yeux tout à fait secondaire, il a ajouté : vous savez, plus rien ne sera jamais comme avant, il va falloir s’habituer à cette idée (pour la petite histoire, c’est l’une des personnes qui furent parmi les plus sceptiques au début de la crise, puis parmi les moins angoissées et les plus rassurantes à propos du virus). Juste après son intervention, il y a eu un blanc. Personne ne parlait plus. Chacun de nous était en train d’intégrer ses paroles, lesquelles, en réalité, résonnaient en chacun de nous avec évidence. Moi-même je ressens au plus profond de moi, depuis plusieurs semaines, cette idée qu’effectivement plus rien ne sera jamais comme avant, mais de l’entendre énoncer comme cela, avec grande conviction de la bouche d’un « soldat du front » visiblement épuisé, m’a troublée, je dois le reconnaître.
Ce qui m’a conduite à cette deuxième réflexion : nous traversons en ce moment une très difficile période de transition. Beaucoup plus difficile qu’on ne le pense et que les gens ne l’avouent. Certes, cette période de transition n’est pas des plus agréables, elle est même très désagréable, douloureuse pour certains, épuisante pour d’autres, au minimum inquiétante pour la grande majorité. Cette période me semble être à l’image d’un accouchement. Aucune d’entre vous, chères lectrices mamans, ne me contredira, je pense : un accouchement n’est jamais une partie de plaisir. C’est douloureux à n’en plus finir et au moment où on le vit, on n’a pas spécialement envie de rire. Mais dès qu’apparaît la petite tête de notre enfant, déjà, à cet instant précis, toute la douleur est oubliée et notre bouche sourit presque malgré nous.
Cette période de confinement que nous sommes tous obligés de vivre n’est guère agréable, pour certains encore moins que pour d’autres. Nous sommes tous d’accord : un confinement dans une propriété avec piscine au bord de la mer est tout de même moins éprouvant que dans un petit appartement sous les toits partagé par une famille nombreuse. Sans compter tous ceux et celles qui se retrouvent sans ressources financières pour cause d’arrêt de l’activité économique, ceux et celles qui vivent dans la rue, etc. On est toujours le pauvre ou le riche de quelqu’un, c’est vrai, mais il nous faut toujours garder à l’esprit qu’il est des situations beaucoup plus dramatiques que la nôtre, cela devrait nous aider à relativiser les choses et à garder confiance et espoir et surtout, à réveiller notre esprit de solidarité.
Voyons maintenant les quelques aspects positifs de ce confinement pour l’environnement et la santé :
– Chute des émissions de CO2, dont l’impact, et sur la couche d’ozone, et sur nos poumons, n’est plus à démontrer,
– Amélioration de la qualité de l’air,
– Baisse de la pollution sonore, laquelle a un impact beaucoup plus important qu’on ne le pense sur la santé. Un impact important aussi, s’il en est, sur la qualité de vie des citadins : on peut de nouveau entendre le chant des oiseaux dans des villes habituellement très bruyantes,
– Réapparition d’animaux marins dans les zones qu’ils désertaient auparavant.
Etc.
Oui, nous traversons une très désagréable période de transition, pendant laquelle nous sommes privés de liberté et où nous sommes séparés de nos proches, où nous avons du mal à nous projeter, ceci étant presque aussi anxiogène que l’ idée d’un virus se baladant peut-être à côté de nous, prêt à nous sauter dessus à l’instant où nous aurons oublié de porter nos masques. Pourtant, il va falloir que nous acceptions de nous projeter, car il faut que nous décidions, maintenant, dans quel monde nous souhaitons vivre demain. Cet accouchement d’un nouveau monde, nous le subissons, et en même temps nous en sommes les acteurs. C’est nous qui décidons, maintenant, quel enfant nous allons mettre au monde.
Voulons-nous prolonger cet état de mieux-être de nous-mêmes et de la nature qui nous entoure ou retrouver notre esclavage d’avant, au grand maître industriel et commercial assis sur l’autel de la société consumériste qui a fait tant de ravages autour du monde ?
Quel monde voulons-nous pour demain ?
Que sommes-nous prêts à abandonner aujourd’hui pour un meilleur avenir ?
Que sommes-nous prêts à faire, individuellement, pour un accouchement moins douloureux et plus prolifique ?
Chacun de nous est une toute petite partie de l’univers, et pourtant chacun a un rôle important à y jouer. C’est ce que nous ne devons pas perdre de vue. Chacun de nous est un maillon capital dans la grande chaîne humanitaire.
Ce que nous ne devons pas oublier non plus, c’est que nous sommes tous UN, c’est pourquoi tout ce que nous décidons au niveau individuel revêt une importance considérable pour la collectivité.
Alors maintenant, allons-y ! Comme aurait dit Sœur Emmanuelle : « Yalla ! » Oublions les douleurs de l’accouchement en préparant en nos cœurs l’après-naissance. Pas dans dix ans, dix mois, dix semaines, ni même dix jours. C’est maintenant que tout se décide, maintenant !
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