L'aube fleurie

L'aube fleurie

Rester vivant

Chaque fois que je sillonne les chemins de campagne et que mon regard se pose sur une prairie verdoyante parsemée de pâquerettes et de boutons d'or, où chevaux ou vaches  se repaissent d'herbe tendre, je me dis que j'ai une chance inouïe.  J'ai une  chance inouïe de pouvoir être là, de pouvoir contempler à satiété la beauté brute de la nature, de pouvoir respirer ses parfums, me laisser bercer par le chant des oiseaux, le léger souffle du vent ou le clapotis de la rivière, m'imprégner de ce puissant concentré de vie qui semble animer toute chose et tout être. Et invariablement je me dis : «  Finalement, n'est-ce pas là, en cet endroit naturel dépourvu d'artifices et de faux semblants, cet endroit où je me sens chez moi, où je parle au monde et où le monde me parle, qu'a toujours été ma place et qu'elle sera toujours ? N'est-ce pas en cette sensation mystérieuse et intense d'appartenir au grand univers, d'être uni à lui, fondu en lui,  que réside la conscience du soi et la source du bonheur ? »

Je pense que l'homme a perdu son âme en perdant le contact avec la nature. Si l'on ne « sent » pas la nature, si l'on ne comprend ni sa raison d'être ni son essence, ni son lien avec tout ce qui vit, ni son importance dans le cycle de la vie, on ne peut pas comprendre la grande alchimie qui  préside à toute naissance et qui nous conduit, par-delà la mort, vers un éternel recommencement. L'homme qui prétend comprendre la nature, être en contact avec elle, tout en ne la respectant pas, se ment à lui-même comme il ment aux autres. On ne peut maintenir durablement un lien avec une personne si on ne la respecte pas. A un moment ou a un autre, la connexion sera rompue. Il en est de même en ce qui concerne notre lien avec la nature. Car si l'on ne respecte pas la nature, on contribue, directement ou indirectement, à sa dégradation. Alors, un déséquilibre s'installe, car ce qui nous unissait à elle, par la fusion de nos « perfections » respectives, perd sa substance et finit par mourir.

Je crois que l'on ne peut comprendre ce qu'est l'être, si l'on n'arrive pas à saisir ce qu'est l'union avec tout ce qui vit. Et il est bien évident que l'on ne peut comprendre la nature de cette union si l'on fait tout pour la briser. L'univers tout entier attend notre prise de conscience, notre implication dans le grand chantier de réunification de toutes choses, car l'univers sait, lui, que sa complétude ne peut être réalisée que dans l'union de tout ce qui vit.

Quand on a pleinement conscience d'être intimement relié à l'univers tout entier, on éprouve une intense sensation de liberté et en même temps, on se sent investi d'une mission urgente : faire tout ce qu'il est possible de faire pour favoriser la réunification de tout ce qui a été séparé par la main de l'homme. A première vue, cela paraît être une mission impossible, voire suicidaire. En réalité, il suffit seulement d'être conscient de son rôle personnel et de l'importance de ce rôle dans l'agencement du monde, puis d'agir avec ses moyens, dans sa propre sphère d'activité, que celle-ci soit très élargie ou restreinte. Il s'agit simplement d'accomplir « la part du colibri ». Si chacun accomplissait consciencieusement sa « part du colibri », il n'y aurait bientôt plus de famine sur terre, plus de maladie cancéreuse ou autre fléau liés à l'environnement, plus de trou dans la couche d'ozone. On stopperait la disparition des espèces, ralentirait la progression des déserts d'un côté, la fonte des glaces de l'autres, etc…

Mais chacun de nous n'a-t-il pas tendance à penser que c'est là un travail de Titan, impossible à réaliser et qu'il vaut donc mieux abandonner tout de suite l'idée d'un possible changement ? Chacun d'entre nous n'est-il pas tenté de se décourager et de se dire « de toute façon il est trop tard, autant attendre tranquillement la « fin du monde » annoncée ? » Quand on en est à ce stade de réflexion où les bras et la tête sont baissés, dans l'attente du châtiment que l'on s'est soi-même infligé, il ne peut y avoir de réconciliation avec le soi. On  a renoncé, déserté, capitulé. L'être intérieur ne se reconnaît plus, il a  perdu ses repères, se sent déconnecté du monde qui l'entoure. Il a brisé le lien.

Au contraire, quand on a gardé intacte en soi cette certitude que l'on peut agir sur le monde et contribuer à son amélioration ; quand est conscient de l'importance de chaque geste posé, on est conscient de sa place dans ce monde. On se sent donc connecté, uni, en harmonie. Alors on peut vivre pleinement, sans se préoccuper des interconnections négatives qui ne nous appartiennent pas, qui ne sont pas de notre fait et sur lesquelles nous n'avons aucune prise, ni en éprouver aucun sentiment de culpabilité ou de souffrance.

Sur un plan individuel, pourquoi, après avoir fait tout ce qui était en notre pouvoir pour améliorer une relation ou une situation, nous sentons-nous aussi mal lorsque celle-ci nous échappe ou que les résultats ne correspondent pas à nos attentes ? Pourquoi sommes-nous obnubilés par cet échec et devenons-nous soudain incapables  d'apprécier toutes les choses positives à côté ? Pourquoi n'arrivons-nous pas à faire suffisamment confiance aux autres pour leur abandonner la charge de ce qui nous arrête et qu'eux sont capables de gérer ?

Il nous faut admettre notre impuissance vis-à-vis des choses que nous n'avons pas le pouvoir de changer – du moins pas tout seuls – et continuer à aller de l'avant, pour résoudre toutes ces autres difficultés qui elles, sont à notre portée, et surtout, pour aller vers toutes les autres choses positives qui peuvent nous rendre heureux. Cela demande de notre part la capacité de lâcher prise et l'art –réhabilité – d'apprécier la vie naturellement, spontanément, généreusement, tout simplement comme le fait un petit enfant.

Quand l'adulte affirme quelque-chose au petit enfant, ce dernier ne se demande pas si l'affirmation est exacte ou non, si derrière ses paroles, l'adulte sous-entend telle ou telle chose, s'il faut comprendre ceci ou cela, parce que ceci ou cela. Non, il le croit sur parole, il lui fait confiance. Il est tout entier dans la position d'apprendre ce qu'il ignore encore, ce dont il est spontanément curieux et dont il a besoin pour son apprentissage de la vie. Quand un enfant rit, il rit vraiment, quand il pleure, il pleure vraiment, quand il regarde, respire, écoute, touche, goûte, il le fait intensément sans retenir les élans de son corps. Quand il aime, il aime ardemment et sans détour. L'enfant est tout entier dans ses émotions. L'enfant exprime la vie spontanément et sans aucune arrière-pensée, parce que l'enfant fait confiance.  

L'adulte, lui, doute de tout et de tous, il doute d'ailleurs de lui-même à certains moments. Il en est toujours à se torturer le cerveau, à propos de chaque relation humaine. Cela frise le ridicule parfois, lorsque, par exemple, des journalistes en mal de scandale bien croustillant, se mettent à décortiquer les paroles d'un homme politique, sorties de leur contexte, pour leur donner une toute autre signification que celles qu'elles avaient au départ, ou lorsqu'un défaut de communication dans une entreprise entraîne quiproquos, fausses informations, désinformation, générant parfois des situations totalement rocambolesques.

Je crois que l'homme doit réapprendre la confiance envers les autres, mais aussi et d'abord la confiance envers lui-même. Se dire qu'on ne peut rien changer à quoi que ce soit quand on n'a pas essayé, c'est manquer de confiance en soi. Avoir un rêve de changement, pour son propre bien et celui de tous, et tenter de le réaliser, avec toute la foi, le courage, l'enthousiasme dont on est capable, c'est se faire confiance, c'est donner du sens à son existence. C'est travailler à la réunification de l'être, en rétablissant la connexion avec l'univers, par conséquent avec les autres et avec soi. C'est rester vivant.

 

 MP



08/04/2011
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