L'aube fleurie

L'aube fleurie

Ma tristesse et moi

Quand naquit ma tristesse, je la nourris avec soin et veillai sur elle avec bonté et tendresse.

Et ma tristesse grandit comme toute chose vivante : forte, belle et pleine de merveilleux délices.

Nous nous aimâmes, ma tristesse et moi, et nous aimâmes le monde autour de nous ; car Tristesse avait bon cœur, et le mien était bon avec Tristesse.

Lorsque nous conversions, ma Tristesse et moi, nos jours étaient ailés et nos nuit entourées de rêves ; car ma tristesse avait une langue éloquente et la mienne était éloquente avec Tristesse.

Et quand nous chantions ensemble, ma Tristesse et moi, nos voisins s’asseyaient à leur fenêtre et écoutaient ; car nos chants étaient profonds comme la mer et nos mélodies regorgeaient de souvenirs étranges.

Et lorsque nous nous promenions ensemble, ma Tristesse et moi, les gens nous fixaient avec des yeux affectueux et chuchotaient des mots d’une extrême douceur. Et il y eut ceux qui nous regardaient avec envie ; car Tristesse était noble et j’étais fier de Tristesse.

Mais ma Tristesse mourut, comme toute chose vivante ; et je demeurai seul à réfléchir et à méditer.

Maintenant, quand je parle, mes paroles tombent lourdement sur mes oreilles.

Lorsque je chante, mes voisins ne viennent plus m’écouter.

Et quand je me promène dans les rues, plus personne ne me regarde.

Dans mon sommeil seulement, j’entends des voix dire avec compassion : « Regardez, ci-gît l’homme qui a perdu sa tristesse. »

 

Khalil Gibran



18/02/2010
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