Les fleurs et le magicien
Un magicien désabusé, découragé par la folie du monde, fit taire un instant sa morosité et décida d'aller faire un tour sur les chemins de campagne.
C'était le printemps. La terre exhalait de douces senteurs d'humus et d'arômes fleuris. L'air lui-même délivrait un enivrant parfum de vie. La verdure unie au bleu infini du ciel procurait à tout être vivant un divin sentiment de plénitude.
Mais notre magicien déconfit regardait désormais le monde avec d'autres yeux. Sur son chemin, il croisa des pâquerettes aux jolies collerettes, des boutons d'or resplendissants, des jacinthes à la belle robe parme qui agitaient leurs clochettes à la brise légère, des jonquilles au coeur soleil, des narcisses au col blanc, de précoces tulipes, de tardifs perce-neige. Les fleurs, ensemble dans la verdure printanière, dégageaient un parfum unique de plénitude et d'harmonie. Pourtant, le magicien ne voyait pas, ne voyait plus, toute la richesse de ce tableau vivant.
Plus par curiosité que par réel intérêt, il s'approcha tout de même de l'une des jonquilles et lui demanda, courtois :
- Dis-moi, jolie fleur du printemps, tu as, c'est sûr, de beaux atours, mais tu ressembles un peu trop à toutes tes soeurs, ne voudrais-tu pas te démarquer un peu ? Veux-tu que je fasse apparaître sur toi une robe de velours, de soie ou d'organdi ?
- Je te remercie bien, noble voyeur, répondit la jonquille, mais ma robe à moi me suffit. Je n'en souhaite aucune autre. D'ailleurs, tu te trompes lourdement en pensant que nous sommes toutes pareilles. Regarde-nous bien au fond du pistil, attarde-toi sur nos pétales, et tu verras qu'aucune de nous ne ressemble à une autre. Je ne peux parler pour mes soeurs mais moi, je suis très heureuse comme je suis.
- Moi aussi !
- Moi aussi !
- Moi aussi !
s'exclamèrent en choeur les autres fleurs.
Alors le magicien les salua bien bas, leur dit au revoir et reprit sa route. C'est alors que l'une des jacinthes le rappela :
- S'il te plaît, noble voyageur...
- Oui ?
- Tu peux faire quelque-chose pour nous.
- Oui, quoi ?
- Ne pourrais-tu faire apparaître une paire de lunettes magiques sur le nez des humains, pour qu'ils puissent voir que nous existons ?
- Mais ils vous voient déjà... répondit le magicien, perplexe.
- S'ils nous voient, alors pourquoi ne nous aiment-ils pas ?
- Mais ils vous aiment, voyons...
- Ah ? Très bien, alors c'est sûrement pour ça qu'ils nous arrosent de poison !
Le regard du magicien se troubla soudain. Il ne comprenait plus grand-chose aux hommes, pas assez pour avoir encore le désir de faire route avec eux, mais il lui restait encore un message à leur délivrer...
Martine
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