La retraite aux flambés
Lettre ouverte aux décideurs soucieux de justice :
Flambées les illusions d'aujourd'hui, flambés les espoirs pour demain ! Du moins le pense une bonne partie de la société française. Ainsi la retraite aux flambeaux, symbole de liberté d'hier, devient la retraite aux flambés, drapeau endeuillé des otages d'aujourd'hui.
Je ne hurlerai pas avec les loups en faisant peser l'entière responsabilité des maux de notre pays et de l'échec de certaines décisions, sur vous, Monsieur le Président. Car le chef d'un état républicain n'est pas seul pour gérer un pays. Il est entouré et secondé de collaborateurs qui ont chacun en charge le rôle dévolu par leur fonction. Un chef d'état ne décide jamais seul, même si, dans certaines circonstances, c'est son ultime décision qui pèse dans la balance lorsqu'il est obligé de trancher. Mais la plupart du temps, les choix sont faits et actés sur la base d'un engagement collectif. Il est trop facile de faire peser l'entière responsabilité des projets ou des décisions qui déplaisent aux citoyens d'un pays sur un seul homme, fut-il chef d'état.
C'est pourtant ce que certains voudraient faire aujourd'hui, en France, avec la réforme des retraites. Mais le fait est que ce projet repose entre les mains de vous tous, Mesdames et Messieurs les décideurs.
Je pense à ce sujet, comme je le pense d'ailleurs à propos de beaucoup d'autres sujets, qu'une fois de plus, on a envisagé le problème à l'envers.
Pourquoi la réforme des retraites suscite-t-elle autant de débats passionnés, de réflexions indignées, de manifestations désespérées, voire même d'interventions musclées ? Au-delà des clivages droite-gauche, des intérêts individuels ou collectifs, des enjeux économiques et financiers, s'est-on réellement posé la question de savoir pourquoi les français, aujourd'hui, placent la question des retraites au premier rang de leurs préoccupations urgentes, bien avant la pollution mondiale, la déforestation, la disparition des espèces, la faim dans le monde, mais aussi l'obscurantisme, le fanatisme, le despotisme ? Pourquoi certaines personnes sont-elles presque prêtes à se faire couper une main, plutôt que de rallonger de deux ans leur temps de travail ? Chacun sait que l'espérance de vie augmente ( encore que la tendance pourrait très vite s'inverser, si l'on continue à laisser les gros industriels polluer impunément notre air, notre terre et notre eau, ou les sbires inconscients ou cupides de l'industrie pharmaceutique nous inoculer de nouveaux vaccins suspects, voire dangereux pour la santé, destinés à lutter contre des bactéries imaginaires ).
Quoi qu'il en soit, si l'on ne fait rien aujourd'hui à propos des retraites, il est certain que les retraités de demain auront du souci à se faire pour le maintien d'un niveau de vie décent. Chacun est bien conscient de cette évidence, pourtant, de plus en plus de gens se mobilisent contre une réforme jugée injuste. De plus en plus de gens clament haut et fort : « on ne veut pas travailler au-delà de soixante ans, on en a marre ! »
Voilà que le mot est lâché : « marre. » Marre d'être considérés comme des pions que l'on déplace allègrement d'un lieu à un autre, de manière intempestive et sans aucun souci du lien social ou familial, au gré du bon vouloir des employeurs qui ne raisonnent (résonnent) qu'au diapason du chiffre d'affaires ; marre du stress généré par la pression, elle-même induite par l'obsession de ce chiffre d'affaire ; marre de la non reconnaissance des qualités professionnelles et de l'expérience ; marre des décisions injustes qui récompensent mieux la finesse intéressée, la « diplomatie » carriériste, l'obéissance aveugle des managers aux diktats édulcorés des dirigeants de leur entreprise, que le sérieux et les compétences ; marre d'être considérés comme de simples machines, dont il suffit d'actionner un bouton pour qu'elles fonctionnent comme on veut les faire fonctionner ; marre que la dimension humaine des relations professionnelles soit totalement et dans certains cas volontairement éludée ; marre d'être poussés, même âgés, à travailler encore plus ou relégués comme objets décoratifs dans des placards dorés, pendant que la jeunesse au chômage se languit de travailler ; marre qu'on en demande toujours plus aux courageux (la France qui se lève tôt), tout en laissant les profiteurs et arnaqueurs en tous genres se sucrer allègrement sur le dos de l'état, donc de nous tous ; marre du manque de respect infligé en permanence et sans aucun scrupule, par les véritables tenants du pouvoir que sont les plus habiles des profiteurs : les grands industriels gourmands et les hauts responsables de la finance, qui ont depuis longtemps sacrifié leur éthique sur l'autel du profit.
Voilà pourquoi les français ne veulent pas de cette réforme. Voilà pourquoi ils ne veulent même plus travailler une minute de plus pour une société qui ne les reconnaît pas, donc qui ne leur convient plus, qu'ils ne supportent plus, au sein de laquelle eux-mêmes ne se reconnaissent plus et pour laquelle ils ne parviennent plus à se projeter dans l'avenir.
Il fut un temps où les hommes et les femmes de ce pays étaient fiers et heureux de leur travail - même ceux qui effectuaient des tâches pénibles - où ils s'épanouissaient dans leur vie professionnelle et retiraient de cet épanouissement une conscience aigüe de leur utilité au sein de la société.
Il n'en est plus de même aujourd'hui, du moins pour une grande partie d'entre eux. D'où les maladies liées au stress et parfois même, les suicides.
A cet égard, on a voulu stigmatiser certaines entreprises, sûrement pour donner bonne conscience à toutes les autres. Mais le mal est plus profond et plus général. Le monde du travail dans son ensemble a cette image de machine à pressuriser. Notre société elle-même, est malade de cette recherche effrénée du pouvoir et du profit. Tant que nos dirigeants n'en prendront pas conscience et ne prendront pas les mesures qui s'imposent pour remettre les choses à plat et repartir sur de bonnes bases, tout projet de l'ampleur de celui des retraites sera non seulement systématiquement rejeté mais aura toutes les chances d'échouer, puisqu'il n'emportera pas l'adhésion de tous.
C'est d'une telle évidence, et pourtant, il me semble tellement nécessaire et urgent de le rappeler : tout progrès technologique ou social passe par le respect de l'humain. Car l'un ne va pas sans l'autre. On aura beau vouloir à tout prix remplacer l'homme par la machine, on aura toujours besoin de l'homme. Car les hommes ont besoin les uns des autres pour survivre. C'est aussi simple que ça. Seulement ils ont perdu la confiance. Et l'on ne regagnera pas la confiance des hommes en stigmatisant les uns ou les autres, en cherchant de faux responsables ou des boucs émissaires à chaque nouveau problème qui surgit, en entretenant la peur de l'avenir pour des raisons de pouvoir politique, en niant la réalité qui sous-tend cette méfiance née du sentiment d'injustice.
Il est probable que si les travailleurs se sentaient mieux reconnus, si l'on était plus à l'écoute de leurs attentes, si on leur donnait davantage l'occasion et les moyens de s'exprimer, puis si l'on rendait à leur travail ses lettres de noblesse, ils retrouveraient cet équilibre qui leur manque pour être des travailleurs épanouis. Peut-être vous donneraient-ils alors eux-mêmes, Mesdames et Messieurs les décideurs, et de bon gré, la solution miracle au problème des retraites, en ne se focalisant plus sur leurs frustrations ni leur manque à gagner mais en acceptant de se projeter dans l'avenir pour les nouvelles générations.
Martine
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