L'aube fleurie

   La création, c'est l'amour en action, qu'elle s'exprime à travers la conception d'un être vivant, la plantation d'un végétal, l'élaboration d'une œuvre d'art, l'écriture d'un live, d'un scénario ou d'une sonate. Quelqu'un a dit un jour que pour acquérir le statut d'homme accompli, il fallait concevoir un enfant, planter un arbre et écrire un livre. J'ai réalisé les trois et pourtant, je n'ai pas encore l'impression d'être pleinement accomplie. Je crois qu'en réalité on ne cesse jamais de s'accomplir. L'accomplissement de soi passe effectivement et obligatoirement par l'acte créateur. Par conséquent, on ne cesse jamais de créer, même si certains de nos actes, d'un point de vue philosophique ou éthique, semblent avoir moins de poids que d'autres, ce qui d'ailleurs est un leurre, me semble-t-il.

   Si l'on cesse de créer, on cesse d'être vivant. Créer, c'est s'affirmer en tant qu'être vivant, c'est  s'affranchir des limites de l' »exister » pour ouvrir l'horizon de l' »être ».  Ainsi, c'est exprimer sa liberté, mais c'est aussi agir en homme responsable vis-à-vis de la liberté de l'autre. Car la pensée exprimée, même en dehors de toute représentation  en acte, est elle-même créatrice, car elle a obligatoirement un impact sur son environnement immédiat. Parfois même cet impact rayonne beaucoup plus loin encore.

   Pour illustrer mon propos, prenons deux hommes à l'âme de justicier, tous deux également courageux, mais l'un est patient, doux et pacifique, tandis que l'autre est impatient, agressif et violent.

   Imaginons un troisième homme. Celui-là est plutôt quelqu'un de modéré, qui garde aisément son sang-froid, mais à qui il arrive tout de même parfois de le perdre, lorsqu'il se trouve confronté à une situation d'injustice flagrante. Car lui-même a une très haute idée de la justice.

   Voilà que notre homme apprend que sa voisine, une jeune femme très sympathique, avec laquelle son épouse et lui-même entretenaient des liens amicaux, vient d'être assassinée. Son époux en fuite est soupçonné du meurtre, ainsi que de maltraitance, au vu des résultats de l'autopsie. Il est d'abord terrassé par cette nouvelle, puis très vite, il sent la colère monter en lui, doublée d'une colère envers lui-même, de n'avoir jamais rien suspecté. Impuissant et démuni, il est en même temps furieux contre l'assassin.

   Sur son chemin, il rencontre l'homme doux et pacifique et lui apprend la nouvelle, accompagnant ses propos de considérations personnelles accusatrices et vengeresses envers l'époux de la dame. Il le fait plus pour évacuer le traumatisme qu'a provoqué en lui cette triste nouvelle que dans l'intention réelle de passer à l'acte. Son interlocuteur pacifique lui répond avec douceur et sagesse qu'il faut avant tout faire confiance à la justice, attendre les résultats de l'enquête, et surtout, éviter d'incriminer le mari sans preuve.

   Plus tard, notre homme rencontre cette fois l'homme agressif et violent et lui tient le même langage. Ce dernier, quant à lui, devient rouge de colère au fur et à mesure des mots qu'il entend. Il se trouve qu'il connaissait lui-même très bien la victime, qu'il estimait beaucoup. Il sait où se trouve le mari en ce moment, puisqu'il l'a aperçu le matin même, au volant de sa voiture, dans le quartier de ses parents. Sans réfléchir, il plante là notre homme médusé, et s'éloigne en jurant et gesticulant.

   Deux jours plus tard, il sera arrêté pour coups et blessures ayant donné la mort envers le mari soupçonné de meurtre.

   Voilà  comment la pensée de quelqu'un, selon la manière dont elle est exprimée et la personne à laquelle elle s'adresse, peut avoir une influence positive ou négative sur son environnement.

   La création est faite de toutes ces interactions entre les pensées diverses de ce monde. C'est pourquoi les conflits entre amis, entre familles, entre peuples, entre nations, tiennent parfois à très peu de chose : un seul mot, un seul accent. Chacun n'a-t-il pas déjà eu un jour le sentiment d'avoir parlé trop vite ou inconsidérément, au risque de provoquer, parfois, une situation qu'il n'avait pas souhaitée au départ ?

   Nous avons tous conscience de l'importance de certaines vertus essentielles et incontournables pour le maintien de l'unité et de l'harmonie. Il est maintenant acquis pour tout le monde que le respect, la générosité et la justice font partie de ces vertus et doivent absolument être préservées, sous peine de voir l'humanité purement et simplement disparaître. D'ailleurs, comme l'a si justement dit  Kant, à propos de la justice : « Si la justice disparaît, c'est chose sans valeur que le fait que les hommes vivent sur la terre. »

   Mais avons-nous conscience de l'importance de la créativité pour la sauvegarde de toutes ces vertus ? Reconnaissons-nous toujours l'impact de chaque pensée exprimée, en paroles, en mots écrits, en actes, en musique, peinture, sculpture, ou de toute autre manière, du moment qu'elle est ex-primée, c'est-à-dire sortie de soi, ce cocon sécurisé et sécurisant qu'est l'être individuel  confronté à sa pensée ? Et pourtant, il est certain qu'elle en a une. C'est  le battement d'aile du papillon…

   Pour toutes ces raisons, il me semble important de toujours confronter l'expression de la pensée à sa dimension éthique. Si je dis ceci, comme ceci, quel impact cela risque-t-il d'avoir sur tel individu, tel groupe d'individus, telle situation ? Les hommes politiques le savent bien, qui doivent peser chaque mot pour éviter les malentendus, les reprises malveillantes, les déformations. Les hommes d'état le savent mieux encore, notamment et surtout en situation de conflit armé ou de menace de conflit armé avec un autre pays. Par le passé, des guerres ont été malheureusement déclenchées ou heureusement évitées, à cause ou grâce à quelques paroles.  Il s'en faut de bien peu, seulement un ou deux mots, pour provoquer une dispute, une crise, une guerre.

   Mais, pourrait-on dire alors, tout cela n'enlève-t-il pas de la spontanéité à la vie, donc de la liberté, dont celle de penser et de s'exprimer ? Le sage a dit très justement qu'il faut tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler et je pense qu'il  a entièrement raison. Si le temps passé à tourner notre langue pouvait servir à peser la dimension éthique de la pensée que nous nous apprêtons à exprimer, le pire pourrait être évité, parfois.

   Il est des situations injustes que l'éthique interdit de tolérer et qu'elle commande de dénoncer. Comme beaucoup de gens, je me suis réjouie d'apprendre que la corrida était désormais interdite en Catalogne. Puis quand j'ai lu que d'autres personnes la regrettaient, prêtant à cette « tradition » un côté tantôt ordinaire qui ne valait pas autant de réactions outragées, tantôt singulier par la beauté de son décorum, arguant du fait qu'elle était l'âme de l'Espagne, je n'ai pu m'empêcher de réagir et d'affirmer ma propre opinion : la corrida ne peut être considérée comme acceptable d'un point de vue éthique, puisqu'elle transgresse ces deux vertus essentielles que sont celles du respect de l'être vivant et de la justice. Que peut-il y avoir de respectueux et de juste dans l'acte de mutiler un animal, quelque soient les raisons que l'on se donne de le faire ? Quelle justice de s'en faire le spectateur ?

    Les nazis torturaient avec raffinement, au son de musiques mélodieuses. Cela rendait-il leurs actes plus justes et respectueux envers le genre humain, plus acceptables ?

   La création est un acte libre qui a ses limites : celles du respect de l'autre et de la justice pour tous.

 Martine

The creation is love in action , expressed throught he design of a living being , planting a vegetable the development of a work of art , writing of a live , a scenario or a sonata . Someone once said that to acquire the status of an accomplished man, he had to conceive a child, plant a tree and write a book. I made three, and yet I did not yet feel fully accomplished. I think in reality it never ceases to be fulfilled. Self-actualization actually happening and necessarily by the creative act. Therefore, you never stop creating, even if some of our actions, a philosophical point of view or ethics, seems to carry less weight than others, which indeed is an illusion, I think He.

If we cease to create, we cease to be alive. To create is to assert itself as a living being is overcome the limits of the " exist " to open the horizon of the " being ".  Thus, it is expressing his freedom, but also act as a man responsible vis - à-vis the freedom of others. For the thought expressed, even without any representation  in actuality, is itself creative, because it necessarily has an impact on its immediate environment. Sometimes this impact radiates much further.

To illustrate, take two men to the soul avenger, both equally courageous, but one is patient, gentle and peaceful, while the other is impatient , aggressive and violent .

Imagine a third man. This one is rather moderate someone who keeps his cool easily, but that it still manages to lose sometimes, when confronted with a situation of gross injustice. For he himself has a very high idea of justice.

This is our man learns that his neighbor, a very nice young woman, with whom his wife and himself maintained friendly ties, has been murdered. Her husband is a fugitive suspected of murder and abuse, according to the results of the autopsy. He was first struck by this news, and soon, he feels anger rising in him, combined with anger at himself, having never suspected. Helpless and powerless, he is also rage against the murderer.

On his way he meets the gentle and peaceful and he heard the news, accompanying his remarks with personal considerations incriminating and vengeful toward the husband of the lady. He did more to evacuate the trauma that caused him the sad news that the real intention to pass the act. The caller replied mildly peaceful and wisdom that he must first have confidence in justice, pending the outcome of the investigation, and most importantly, avoid blaming the husband without proof.

Later, our man this time meeting the aggressive and violent man and he speaks the same language . The latter, meanwhile, became red with anger As the words he hears. He found himself he knew the victim very well, he felt much. He knows where the husband right now, since he saw that morning , driving his car in the neighborhood of his parents. Without thinking, he plants is our man paralyzed, and departs, swearing and gesticulating.

Two days later, he was arrested for assault and battery brought death to the husband on suspicion of murder.

Here how the thought of someone, in the manner which it is expressed and the person to whom it is addressed, can have a positive or negative influence on its environment.

Creation is made of all these interactions between the various thoughts of this world. Therefore, conflicts between friends, between families, between peoples, between nations, sometimes due to very little: a single word, a single accent. Everyone has he not already had one day the feeling of having spoken too fast or recklessly , the risk of causing, sometimes, a situation he did not want to start?

We all realize the importance of certain virtues essential and indispensable for maintaining the unity and harmony. It is now clear to everyone that respect, generosity and justice are virtues and these should definitely be preserved, lest humanity simply disappear. Moreover, as aptly put it:  Kant, about justice: "If justice goes, it's rubbish that the fact that men live on earth. "

But do we realize the importance of creativity for the protection of all these virtues? We always recognize the impact of each thought expressed in words, written words into action, music, painting, sculpture , or otherwise, the time it is ex -pressed , that is Ie out of itself, this secure and safe cocoon that is the individual being confronted with his thoughts ? And yet, it certainly has one. This is the flapping of a butterfly wing ...

For all these reasons, it seems important to always compare the expression of thought to its ethical dimension. I say this, like this, what impact it might he have on that individual, one group of individuals, such a situation? Politicians know this well, which should weigh every word to avoid misunderstandings, rework malicious distortions. The statesmen know better, not least in situations of armed conflict or threat of armed conflict with another country. In the past, wars have been triggered unfortunately or fortunately avoided on account or with a few words.  It would be of very little, only one or two words to provoke an argument, a crisis, a war.

But could it be said , all this does he not have the spontaneity to life , then liberty, including that of thought and expression ? The wise man has rightly said that he must turn his tongue seven times in his mouth before you speak and I think quite right. If the time to turn our language could be used to weigh the ethical dimension of thinking that we are about to express, the worst could be avoided sometimes .

It is unjust situations that ethics not be tolerated and it commands to terminate. Like many people , I am pleased to learn that the now banned bullfighting in Catalonia. Then when I read that the others were sorry, lending to this " tradition " a common side or not worth as much outraged reaction, sometimes by the singular beauty of its decorum, arguing that it was the The soul of Spain , I could not help but react to and affirm my own opinion : the bullfight can be considered acceptable from an ethical point of view , since it violates two essential virtues that are those of respect for the living and justice. What can there be respectful and just in the act of mutilating an animal, whatever the reason that we give ourselves to do? What justice would make the viewer?

The Nazis tortured with refinement, the sound of melodious music . This made it their actions more just and respectful towards the human race , more acceptable ?

Creation is a free act that has its limitations: those of respect the other and justice for all.

M.artine