L'âge oublié
L'âge oublié
Il m'est difficile de parler d'un âge que je ne connais pas encore et que peut-être (qui peut savoir) je ne connaîtrai jamais. Mais ce que j'en distingue, de mon œil extérieur n'est pas très réjouissant.
Il fut un temps où l'on avait du respect pour les anciens. Leurs avis comptaient, leur sagesse était appréciée. On les consultait volontiers sur toutes sortes de sujets car on avait confiance en leur expérience. Ils s'asseyaient au coin du feu, nous regardaient tendrement de leurs yeux fatigués mais encore pétillants, nous racontaient la vie avec des accents de nostalgie. Nous les écoutions avec respect, émotion, parfois même avec admiration. De temps en temps, nous souriions de leur naïveté d'anciens pas encore familiarisés avec toutes les formes de progrès, pour constater finalement, que rien d'important n'avait réellement changé : les arbres étaient toujours des arbres ; le soleil se levait toujours à l'est et se couchait toujours à l'ouest ; les rivières et les fleuves se déversaient toujours dans les mers et les océans ; les bébés naissaient toujours de la même façon ; il fallait toujours travailler pour gagner son pain et nourrir sa famille ; et pour réussir il fallait toujours se battre.
Aujourd'hui, on parque nos anciens dans des mouroirs où personne ne les écoute plus, pas même leur chien, dont on a refusé la présence à leurs côtés. Ils attendent un sourire qui ne vient jamais, une attention qu'on leur refuse. Ils ont si peu d'importance que parfois, on ne se souvient même pas qu'ils sont là. La maltraitance dont certains sont victimes n'apparaît même pas comme quelque chose de répréhensible aux yeux de leurs bourreaux, tout étonnés d'apprendre qu'ils vont devoir répondre de leurs actes devant la justice.
Et face à nos écrans de télévision, accablés de voir à quel point notre société (c'est-à-dire nous tous) a failli à son rôle en méprisant ainsi les anciennes générations, nous constatons que les arbres sont toujours des arbres mais que certains, centenaires, sont plus respectés que les êtres humains qui les ont plantés. Le soleil se lève toujours mais pour certains êtres oubliés, il fait toujours nuit. Les rivières et les fleuves se déversent toujours dans les mers et les océans mais n'égaleront jamais en puissance le flot silencieux des larmes retenues de nos aïeuls. Les bébés naissent toujours de la même façon mais les « vieux » ne meurent plus dans la même dignité. Il faut toujours travailler pour gagner son pain et nourrir sa famille mais les anciens semblent ne plus avoir leur place dans cette famille. Pour réussir, il faut toujours se battre mais pour gagner le droit de survivre après un certain âge, il faut se taire, souffrir en silence et se faire tout petit.
Bien sûr, il ne faut pas généraliser. Il existe, parmi nos anciens, des gens heureux, entourés, choyés, qui ont encore le sourire, vous parlent en criant parce qu'ils sont un peu sourds et rient avec vous quand vous leur répétez les choses pour la quatrième fois, qui chantent, qui dansent, qui aiment la vie.
Mais s'il n'en existait qu'un seul, délaissé, abandonné, maltraité, ce serait encore un de trop.
M.
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