Egoïsme
Rapia était un magnifique écureuil, surnommé ainsi à cause de son égoïsme légendaire. C'était là le moindre de ses défauts, car il était aussi jaloux et incroyablement orgueilleux et méprisant. Il adorait s'admirer et n'avait de cesse de vanter à qui voulait l'entendre le roux incomparable de sa queue au splendide panache. Ainsi passait-il ses jours à se regarder, à se pavaner, mais aussi à se flatter d'avoir réussi à amasser, grâce à son habileté, la plus grosse réserve de noisettes qu'il fût possible d'amasser. Rapia était sans conteste l'écureuil le plus riche de la forêt et l'on venait de partout pour visiter le tronc qu'il habitait et où il entreposait son trésor. Mais il était aussi le plus égoïste, car si tout le monde animal pouvait tout à loisir admirer sa récolte ce qui l'enorgueillissait plus encore chaque fois - personne n'avait jamais pu en goûter ne fût-ce qu'une miette. C'était là un fait avéré, notoirement connu : Rapia ne partageait jamais quoi que ce soit avec qui que ce soit.
Il n'avait aucun ami mais seulement quelques relations minutieusement choisies, parmi celles qui pouvaient le mieux flatter son orgueil. Il se contentait très bien de cette sorte de rapports impersonnels et ne demandait rien d'autre à la vie que de s'admirer dans le regard d'autrui sans jamais rien donner de lui-même. Il passait ses journées ainsi et quand il rentrait le soir, il se précipitait vers son tas de noisettes pour l'admirer encore une fois et se féliciter de son génie.
Un soir, il se dit qu'il ferait bien d'apporter des branchages pour l'étayer, ce tas de noisettes, car il était maintenant très imposant et très lourd, et risquait de s'effondrer sur le peu de place qu'il lui restait pour vivre et dormir. Cependant, il remit ce projet au lendemain et s'allongea pour entamer une bonne nuit de sommeil. Il considérait toujours ce moment privilégié du repos avec le plus grand sérieux, soucieux de veiller à sa santé, dans le but de préserver la beauté de son poil, afin de toujours paraître le plus à son avantage aux yeux des autres. Il était à peine endormi qu'il entendit frapper au tronc. Il se leva de mauvaise grâce et de très mauvaise humeur. Qui avait l'audace de le déranger ainsi pendant son sommeil ? Il se frotta les yeux et scruta l'obscurité. Il vit alors en face de lui un petit écureuil chétif, aux yeux larmoyants, au poil terne, détails révélateurs qui éveillèrent instantanément son mépris.
- De quel droit oses-tu réveiller les gens de la sorte ? cria-t-il.
- Excusez-moi, geignit le jeune écureuil, mais je ne savais pas où aller. Il fait très froid dehors. Mes parents sont morts, je suis malade et je n'ai rien mangé depuis huit jours. On m'a dit que vous avez une grosse réserve de noisettes, peut-être en aurez-vous une petite pour moi ?
- On t'aura mal renseigné, répondit hargneusement Rapia, au revoir.
- Mais
- Dehors !
Joignant le geste à la parole, Rapia poussa le petit écureuil qui, très faible, n'eut ni le réflexe ni la force de s'agripper à la branche la plus proche. Le frêle animal tomba à pic de toute la hauteur de l'arbre et vint s'écraser au sol. Indifférent à son sort, Rapia retourna vers sa couche en grognant et, avant de s'allonger, furieux d'avoir été dérangé dans son sommeil, frappa rageusement la paroi du tronc. Son geste de colère fit trembler l'habitacle et soudain, dans un grondement effrayant, le tas de noisettes s'effondra. Avant de réaliser ce qui lui arrivait, Rapia fut happé par une vague de noisettes et projeté violemment au sol. Il perdit connaissance et très vite, fut entièrement recouvert de fruits. On le retrouva mort, enseveli sous ce qu'il appelait lui-même son vénérable trésor.
Arc-en-ciel
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