L'aube fleurie

L'aube fleurie

Déterminisme ou libre-arbitre ? (1ère partie)

   Ce matin, je suis tombée par « hasard » sur une vidéo. Je mets ce terme « par hasard » entre guillemets, ceux et celles qui me connaissent bien connaissent aussi mon opinion à ce sujet. Selon moi, le hasard n’existe pas et tout vient à nous pour une raison bien précise.

 

   Donc, je suis tombée « par hasard » sur une vidéo qui était en réalité un livre audio traitant d’un sujet philosophique : la pensée de Spinoza, laquelle, dans sa globalité, consiste, en substance, à nous expliquer ce qu’est Dieu. Comme je m’intéresse à la philosophie, naturellement je l’ai ouvert. La diction de l’auteur est parfaite, parfaitement claire, et nous plonge immédiatement dans la pensée de ce philosophe controversé qui a défié son temps par ses idées non conformes à l’idéologie chrétienne de l’époque. Pour ceux et celles que la philosophie intéresse, je vous invite à découvrir ci-dessous cette vidéo.

 

   Le propos de l’auteur, « le Précepteur », est d’expliquer brièvement la pensée de Spinoza en lui opposant tout d’abord celle de Descartes.

 Descartes était mathématicien, physicien et philosophe. Il croyait en la dualité. Il établissait une distinction entre la matière et l’esprit, entre l’étendue et la pensée. Il défendait l’idée qu’il y a séparation entre l’ici-bas, le monde de la matière et l’au-delà, le monde de l’esprit. Il croyait au libre arbitre, en la possibilité du choix, en la capacité qu’a notre volonté de se déterminer, indépendamment des influences extérieures. « Le libre arbitre est l’indépendance de la volonté vis-à-vis de la matière. Il est fondamentalement lié à cette distinction entre le corps et l’esprit. Parce que pour qu’il y ait liberté, il faut qu’il y ait possibilité pour l’esprit de se déterminer indépendamment du corps ». 

 

   Spinoza, quant à lui, défendait l’idée de déterminisme. Quand Descartes pensait que l’homme est entièrement libre et responsable de ses actes, lesquels dérivent de sa pensée, Spinoza était convaincu que l’existence de l’homme est prédéterminée, et que par conséquent, quoiqu’il décide et quoi qu’il fasse il lui arrivera exactement ce qui lui est prédestiné depuis toujours.

 

   On ne peut trouver deux pensées philosophiques aussi diamétralement opposées. Et pourtant, en y réfléchissant, l’idée qui me vient immédiatement à l’esprit par une sorte d’intuition est : et si la coexistence de ces deux concepts était possible ? Si les deux hommes avaient eu raison tous les deux ? Aussitôt, la raison s’en mêle et me susurre à l’oreille : cela n’a aucun sens, l’homme ne peut être à la fois pleinement responsable de ses actes et acteur de sa vie, si en même temps son existence est prédéterminée. Ce serait comme prétendre qu’un pantin peut décider par lui-même de lever la jambe ou le bras. Pourtant… ma pensée persiste. Je ne peux l’expliquer, encore moins la prouver, mais mon intuition me dit que les deux réalités sont possibles. L’existence de l’homme est prédestinée, mais il a en même temps un pouvoir d’action sur elle. J’essaie de m’expliquer à moi-même cette conviction intime, mais je tourne en rond, je n’y arrive pas, je reviens toujours à cette idée extrêmement « raisonnable » que la concomitance de ces deux vérités opposées est tout bonnement impossible.

 

   Puis, tout à coup, me vient une idée. Peut-être qu’en faisant l’analogie avec la création d’un roman par son auteur, j’arriverais à préciser par le raisonnement ma pensée intuitive. Me voilà donc propulsée dans le labyrinthe de mes pensées désordonnées pour tenter de donner un sens à ce qui m’apparaît insensé. Il me faut partir du principe que d’une certaine façon, lorsqu’il écrit un texte, le romancier joue un peu à être Dieu. Eh oui, que fait-il sinon créer des personnages et donner une vie à chacun d’eux ? Avant de coucher ses mots sur le papier ou sur la toile, il a déjà une trame dans la tête. Il connaît le lieu et les circonstances de l’intrigue. Il connaît chacun des personnages. Il sait d’où ils viennent, où ils vont. Ce qu’ils font dans la vie, ce qu’ils pensent, ce qu’ils sont, pourquoi il va leur arriver ceci ou cela, comment ils s’en sortiront, etc.

De quelle manière est-ce que je prépare l’écriture d’un nouveau roman ? Moi aussi j’ai évidemment une trame dans la tête. J’ai une vision précise du caractère de mes personnages. Je sais lesquels feront les bons ou les mauvais choix, selon la vision parfois manichéenne que j’en ai. Pourquoi ils sont « gentils » ou « méchants ». Je prévois qu’il va leur arriver ceci ou cela. Je décide qui va gagner ou perdre au fil de leurs expériences au cours de mon récit. Parce qu’en cette dimension dans laquelle nous vivons tous, force est de constater qu’il n’y a pas que des « gentils » et que les vies ne sont pas de longs fleuves tranquilles. Alors mes personnages sont à l’image de ceux que l’on rencontre dans la vie réelle, des êtres avec leurs attentes, leurs rêves, leurs bonheurs, leurs passions, leurs illusions et désillusions, leurs peurs, leurs limites, leurs failles, leurs épreuves, leurs réussites, leurs échecs…

 

   Lorsque j’ai prédéterminé le lieu, le temps, l’action et les personnages du récit, je commence à écrire. Parfois, avant de prendre la plume pour entamer un nouveau chapitre, je me heurte à une impossibilité, une incohérence, un non-sens, une invraisemblance, ou même parfois à un sentiment diffus de n’être pas dans le vrai lorsque j’imagine qu’il va arriver telle ou telle chose à l’un de mes personnages. Dans certains cas, je me demande vraiment comment je vais bien pouvoir m’en sortir avec telle ou telle situation. Et là, je me dis : « tant pis, commence à écrire, on verra bien… » Eh bien, vous me croirez si vous voulez, le miracle se produit toujours, l’idée jaillit d’elle-même, mon personnage trouve la solution que je cherchais désespérément. Parfois même, il m’emmène en un lieu que je n’avais pas moi-même choisi pour lui, commet un acte que je n’avais pas prévu, cet acte en entraînant un autre, lequel lui-même en provoquant un nouveau, et ainsi de suite. Pendant un laps de temps, mon histoire m’échappe. Je ne suis plus alors créatrice de mon récit, mais j’en suis devenue spectatrice, et j’en éprouve d’ailleurs beaucoup de plaisir. Je me laisse embarquer avec excitation sur le navire de mon personnage rebelle, j’aime le lieu où il m’emmène et ce qu’il me fait découvrir, car il me fait connaître d’autres horizons que ceux vers lesquels ma raison me guidait. C’est un réel bonheur pour moi, ces digressions inattendues. Pourtant, à la fin, il se passe tout de même ce que j’avais décidé qu’il se passerait, et mes personnages vont bien là où ils devaient aller et connaissent la fin qu’ils devaient connaître. Ainsi, ils ont exercé leur libre arbitre à un moment de leur existence prédéterminée par moi. Vous me direz peut-être : OK, mais quand tu dis que ton personnage t’emmène là où tu n’avais pas décidé qu’il aille, c’est tout de même bien toi qui écris son histoire. Eh bien, voyez-vous, je n’en suis pas si sûre…

 

   Voyez-vous maintenant où je veux en venir ? Qu’en est-il de la vision d’un monde crée par Dieu et prédéterminé, un monde dans lequel l’homme ne pourrait que subir, et celle d’une existence tissée par l’homme lui-même, au fil des circonstances et de ses propres choix ? Pour Spinoza, le corps et l’esprit sont deux attributs d’une substance unique, qu’il appelle Dieu ou la nature : c’est le concept du monisme.

 

   Si l’on part du principe que Dieu est en chaque homme, puisqu’Il contient le Tout, alors il est possible d’envisager le fait qu’une part de nous puisse décider et agir d’elle-même et qu’une autre part, notre part divine, puisse être à la fois créateur et simple spectateur de ce qui arrive à l’ensemble de notre être, n’est-ce pas ? Partons du principe que Dieu est en nous – Il serait notre essence supérieure – mais en même temps, Il se trouve en cette autre dimension non accessible pour l’instant à notre essence humaine. En effet, en ce lieu, les notions de temps et d’espace n’existent pas – On peut d’ailleurs lire cette affirmation dans la Bible : « pour Dieu, mille ans sont comme un jour ». On peut penser, par conséquent, que Dieu – c’est-à-dire nous-mêmes en même temps, si l’on part du principe que Dieu est à la fois en nous et qu’Il est une partie de nous – sait exactement tout ce qu’il va nous arriver, puisqu’il possède la faculté de voir en même temps notre passé, notre présent et notre futur d’un seul coup d’œil, comme le romancier voit la vie de ses personnages avant même d’avoir saisi sa plume pour leur prêter vie. Si nous admettons le principe que Dieu contient le Tout et qu’en même temps Il est en nous, Dieu sait donc d’où nous venons et où nous allons, comment nous pensons et réagissons, pourquoi nous pensons et agissons de telle ou telle manière. Il connaît aussi les probabilités pour qu’un homme aille dans telle ou telle direction, fasse tel ou tel choix et pourquoi, en fonction des lieux et des circonstances de son passé. Et pourtant… pourtant…  peut-être que, comme le romancier avec ses personnages, Dieu, en simple spectateur de nos vies, nous permet, finalement, de décider d’aller dans telle ou telle direction, de faire tel ou tel choix, d’exprimer notre libre arbitre, tout en sachant déjà, puisqu’Il a une vision panoramique et intemporelle de nos vies qu’au bout du compte, nous arriverons de toute façon là où il est écrit que nous sommes destinés à arriver.

 

 Parce que, tout simplement, notre nature divine est celle d’un être libre.

 

MPV

 

 

 



24/05/2020
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