Atmosphère étrange
Défi d'Evy n° 300 : Atmosphère étrange
Mot à insérer :
Danser, Brumeux, Cristallin, Orée, Beauté, Multitude,
Courage, Expérience, Première, Branche...
C’était la première fois que j’osais m’aventurer dans cette partie du bois où j’avais pris l’habitude de promener mon chien. Le temps était froid et brumeux ce jour-là, un peu comme en ce moment. Cette grisaille insistante qui durait depuis des jours et des jours commençait à me miner sérieusement. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’elle était de nature à me déprimer ni à saper ma volonté et mon courage, mais elle me fatiguait tout de même un peu. Le manque de luminosité, sans doute. Je ressentais un urgent besoin des rayons du soleil sur ma peau, et le cristallin de mes yeux avides de la beauté du printemps l’appelaient aussi de ses vœux. Hélas, j’avais beau le souhaiter de toute mon âme depuis plusieurs jours, le soleil ne semblait pas décidé à se montrer ce jour-là plus qu’un autre. Tant pis, je sortirais quand même. De toute façon, il le fallait bien, pour les besoins de mon chien. Mais je resterais à l’orée du bois, cette fois, car le terrain y était si rempli de boue qu’on s’enfonçait dedans jusqu’à en avoir sur le dessus de ses chaussures.
Je me mis donc en route, après avoir mis sa laisse à mon chien qui jappait joyeusement à m’en briser les tympans, comme chaque fois que nous partions en promenade. Lui, il n’en avait pas grand-chose à faire qu’il fasse soleil ou non, qu’il pleuve ou non, du moment qu’il pouvait explorer la nature au moyen de sa truffe, tout en arrosant l’herbe et les orties des talus. Chemin faisant, alors que j’entamai le dernier tournant avant d’arriver au bois, tandis que mes chaussures émettaient des flocs retentissants à chaque pas et que mes semelles avaient d’ores et déjà pris la couleur de la boue dans laquelle elles baignaient, me revint à l’esprit une expérience du passé. Aussitôt, un large sourire étira mon visage. À cet instant précis, mes yeux avaient sûrement pris la couleur dorée de ces regards inondés d'une multitude d’étincelles de joie. Car je repensais à ce jour où j’avais arpenté le même chemin en compagnie de ma belle-sœur, ses enfants et les miens. C’était le printemps. Il faisait très beau, mais la pluie était tombée abondamment les jours précédents, ce qui faisait que par endroit l’on ne distinguait pratiquement plus le sol des chemins, tant ils étaient recouverts de flaques d’eau et de boue que le soleil n’avait pas eu le temps de sécher. Chaussés de simples baskets, nous slalomions courageusement, habilement, et l’on peut même dire élégamment entres les obstacles. On aurait dit des petits rats d’opéra en train de danser entre les monts de boue et les trous d’eau, tout en nous aidant des grosses pierres qui nous servaient de juchoir. Et ceci en évitant soigneusement de nous heurter aux branches qui dépassaient largement des fourrés. Nous étions déterminés à atteindre le bois, où nous rêvions de voir les étendues de jacinthes odorantes qu’il abritait en cette période de l’année. Lorsque j’avais voulu rassurer ma belle-sœur, qui ne connaissait pas l’endroit, en lui disant que le passage que nous étions en train de traverser était le pire de tous, et qu’après tout s’arrangerait, elle m’avait scrutée d’un œil dubitatif avant de me répondre par une question : « Tu est sûre ? »
Quand nous eûmes pu constater plus tard que...eh bien non, ça ne s’arrangeait pas du tout et que la suite du chemin n’avait rien à envier au début, que nous avions maintenant de la boue jusqu’au mollet et que nos baskets pesaient une tonne, elle m’avait regardée sans dire un mot d’un œil rieur, dont j’avais compris aussitôt le message, et nous avions éclaté de rire.
Penser ainsi à ma belle-sœur suffit à me combler d’un sentiment de bien-être, même si, paix à son âme, la pauvre n’était plus de ce monde, partie bien trop tôt des suites d'une maladie foudroyante. Peut-être souriait-elle aussi, de l’autre côté, en me voyant arpenter ce même chemin, et sourire en pensant à elle…
Arrivée à la lisière du bois, je ne sais pas pourquoi, mais contrairement à ce que j’avais décidé, je ne rebroussai pas chemin. Comme ce jour-là avec ma belle-sœur et nos quatre enfants, j’éprouvais une irrésistible envie de voir et de respirer les larges étendues de jacinthes odorantes qui, en cette saison, s’étendaient en un tapis violet d’une beauté époustouflante. J’avançai donc encore sur ce chemin où mon petit chien de radiateur (comme mon vétérinaire le nommait avec humour) et moi étions en train de nous embourber allègrement, lui me scrutant d’un regard interrogateur qui semblait vouloir dire : « qu’est-ce qu’on fait là ? J’ai froid aux pattes, moi ! » et moi, habitée de ce désir insensé d'aller jusqu'à mon but, quoi qu'il arrive.
Plus j’avançai entre les arbres plongés dans la brume, plus j’avais le sentiment d’une atmosphère étrange. J’avais envie de rebrousser chemin, me culpabilisant presque pour les pattes de mon chien et me désolant à l’avance du temps que j’allais devoir passer ensuite à les décrotter, puis à peigner ses longs poils en les débarrassant de leurs nœuds. Rien de sensé ne plaidait en faveur d’une avancée plus lointaine dans ce bois. Et pourtant, j’avançai encore entre les arbres de plus en plus serrés, dans une brume de plus en plus opaque. Jusqu’à ce que je parvienne au but de mon parcours : une étendue de jacinthes d’un violet pur, dont le parfum m’inonda littéralement. Étrangement, les vapeurs évanescentes du brouillard ne s’attardaient pas sur les fleurs, elles ne faisaient que les effleurer tout en tournant autour de la zone où elles se trouvaient. On aurait dit des ailes d’anges en train de danser autour d'elles, comme pour honorer leur beauté. J’étais fascinée par ce spectacle. Je fermai les yeux un instant. Je voulais m’imprégner du parfum des jacinthes, des odeurs d’humus et de terre mouillée. Du silence aussi. Un silence étrange. Étonnant. Envoûtant. Magique. Je fis quelques respirations profondes et je restai là, immobile, pendant plusieurs minutes, dans une communion parfaite avec la nature. Ce fut alors que j’entendis sa voix en train de se manifester à travers les jeunes feuilles des arbres qui bruissaient dans le vent.
Atmosphère étrange, oui… et si familière à la fois, d’une nature qui nous parle constamment.
Pour peu que l’on veuille bien lui prêter une oreille attentive.
MPV
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