Alexis et le loup / épisode 3
Alexis eut du mal à s’endormir ce soir-là. Les souvenirs tournaient et retournaient dans sa tête. Le lendemain matin, ils le hantèrent de plus belle. Il ne pouvait s’empêcher de repenser à cette époque…
Même après avoir été disculpé, même après que le véritable assassin ait été arrêté et condamné, il n’avait pu oublier les regards suspicieux, parfois accusateurs, les propos méprisants ou injurieux. Comment pouvait-on se permettre d’accuser un homme aussi facilement, sans aucune preuve, au seul motif qu’il était différent ? Blessé dans sa dignité, atteint jusqu’au plus profond de son cœur, il avait perdu absolument toute confiance dans le genre humain. Il avait alors décidé de se retirer définitivement de la société. Il s’était trouvé une destination peu commune : un chalet complètement isolé au beau milieu de la forêt, où il vivait maintenant depuis deux ans. Il ne se rendait plus jamais en ville et les rares fois où il utilisait sa voiture, c’était pour aller se ravitailler au village le plus proche. Et même si parfois la solitude lui pesait, il appréciait, il appréciait vraiment, de ne plus avoir aucun compte à rendre à personne et de n’avoir plus la responsabilité que de lui-même.
Et puis… il avait un ami à présent : un loup solitaire qui avait rôdé plusieurs semaines autour du chalet. Au début, Alexis ne savait comment interpréter sa présence. L’animal errait toujours seul. Il s’était même demandé, amusé, si lui aussi avait été rejeté par sa meute, si lui aussi, avait choisi de vivre seul. Il n’avait jamais vraiment ressenti aucune peur de lui, non, aucune peur. Il était juste intrigué de le voir tourner autour du chalet sans en approcher à moins de cent mètres. Le troisième jour, il avait déposé une gamelle de viande à la porte du chalet, pensant que peut-être ce loup avait faim, tout simplement, et cherchait quelque pitance… Mais la gamelle était restée pleine, le loup n’y avait pas touché.
Le cinquième jour, il avait tenté de s’approcher de l’animal et à sa grande surprise, ce dernier n’avait pas bougé. Il ne s’était pas trop avancé, pour ne pas l’effrayer. Pendant quelques secondes, l’homme et l’animal s’étaient échangé un long regard, puis le loup avait fait demi-tour et avait disparu derrière les arbres.
Le loup était revenu tous les jours et chaque jour, le même rituel avait recommencé, à la différence qu’Alexis s’était approché chaque fois un peu plus. Le dixième jour, après qu’Alexis ait ajouté quelques mètres à son approche, il avait eu la grande surprise de voir le loup se rapprocher à son tour. Il avait fait un pas de plus, le loup en avait fait un autre, encore un pas, le loup aussi, et ainsi de suite, jusqu’à ce que l’homme et l’animal se retrouvent face à face à un mètre l’un de l’autre. Ainsi était née une amitié entre un homme et un animal sauvage. Quand il y pensait, c’était proprement extraordinaire.
Ce jour-là, Alexis marcha pendant des heures à travers la forêt, qu’il connaissait maintenant comme sa poche. Il avait besoin d’évacuer toutes ces idées noires qui trottaient dans sa tête. Quand il rentra en fin d’après-midi, épuisé mais apaisé, la nuit tombait déjà. C’était l’heure où il verrait deux grands yeux noirs briller dans le clair de lune et attendre impatiemment son invitation à venir se réchauffer devant la cheminée. Il se dépêcha d’ajouter quelques bûches dans l’âtre et attisa le feu. Quand ce fut fait, il sortit et avança dans la nuit tombante, dans la direction d’où surgissait toujours son ami. Quelle ne fut pas sa surprise de le trouver cette fois tout près du chalet !
- Eh bien, mon ami ! Tu t’enhardis, à ce que je vois !
Il s’approcha de l’animal et s’apprêtait à le caresser, comme à son habitude, mais perçut dans ses yeux quelque chose d’anormal. Au moment où il approchait sa main de sa tête, le loup gémit et se retourna.
- Allons, qu’est-ce que tu me fais aujourd’hui ? Viens… Approche…
Mais le loup ne bougea pas, tout en gardant la tête tournée vers lui.
- Allons, viens… de quoi donc as-tu peur ?
Il ne bougea toujours pas. Alors, Alexis lui lança, tout en faisant demi-tour :
- Tu me fais la tête aujourd’hui ? Très bien, à ta guise ! J’irai donc me réchauffer seul au coin du feu !
Au moment où il faisait demi-tour, le loup se retourna lui aussi et revint vers lui en gémissant. Alexis s’arrêta :
- Bon… tu as changé d’avis ? Allez, viens… arrête de faire l’idiot.
Mais au moment où il approchait sa main, de nouveau, le loup gémit, se retourna, et s’éloigna, puis stoppa net et se retourna. Alexis resta perplexe. Il l’observa de loin. Son attitude n’était pas normale, tout au moins non habituelle pour le peu qu’il en savait sur lui. On aurait dit… On aurait dit qu’il voulait l’entraîner quelque part avec lui...
- Tu veux que je te suive, c’est ça ? se hasarda-t-il à demander.
Le loup poussa une sorte de grognement qui semblait vouloir dire oui.
- Ok, alors si tu permets…je vais prendre un blouson. Tu as ta fourrure, toi, pour te protéger du froid, la mienne n’est pas vraiment aussi efficace, tu vois, alors, attends-moi là, j’arrive.
Comme s’il était absolument sûr que le loup avait compris tout ce qu’il lui avait dit, Alexis retourna chercher son blouson au chalet, prit une lampe-torche au passage et alla à la rencontre du loup qui avait rebroussé chemin lui aussi, comme pour mieux lui montrer la route.
- Ok, c’est bon pour cette fois, fit Alexis, mais c’est pas une heure pour se balader dans les bois, vieux…, surtout avec cette neige !
Comme s’il était content qu’Alexis ait enfin compris ce qu’il voulait, le loup s’agita joyeusement autour de lui, tout en poussant de petits cris de contentement.
- Ok, ok, ça va, j’ai compris, tu es content. Alors, vas-y, emmène-moi où tu veux. J’espère quand-même que ce n’est pas trop loin, j’ai eu mon compte de marche pour aujourd’hui !
Alexis alluma sa lampe-torche et suivit son ami à travers la forêt. Après environ cinq cent mètres, le loup le guida vers un sentier qui menait à une petite route départementale. Il avançait de plus en plus vite, puis se mit à courir. De loin, Alexis le vit s’arrêter a l’intersection du sentier et de la route, se retourner et le fixer. Il sut alors que leur promenade allait se terminer là.
Quand il arriva à sa hauteur, il découvrit avec consternation ce vers quoi son ami avait désespérément cherché à l’entraîner.
A suivre...
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