L'aube fleurie

L'aube fleurie

Un magique contretemps / 4ème épisode

Les doigts crispés sur son clavier, Julien était au comble de l’exaspération. Il avait déjà  fait les trois quarts du trajet et avait à peine avancé sur son projet. C’était bien la peine de prendre des billets en 1ère classe ! Entre le gosse de derrière qui n’arrêtait pas de bouger et de crier, et le caractère acariâtre de sa voisine… Pas moyen de se concentrer dans ce fichu train ! Son rapport ne serait jamais prêt à temps, il allait se faire incendier par son boss ! Et surtout, il n’allait pas pouvoir tenir ses engagements auprès d’un gros client, et ça, pour son image de marque, ça n’était pas bon, pas bon du tout ! « Mais qu’est-ce que je fais là ? Se demanda-t-il, Pourquoi est-ce que je n’ai pas tenu tête à ma mère pour une fois ? Tu le sais très bien, se répondit-il à lui-même, parce qu’elle t’aurait fait la tête pendant six mois ! »


Il fut subitement interrompu dans ses pensées par le freinage brutal du train, en une secousse qui propulsa en avant les corps de tous les voyageurs. Le garçonnet qui s’était enfin endormi derrière lui, se réveilla brutalement en chutant sur le sol et se mit aussitôt à pleurer à chaudes larmes. Sa maman le prit contre elle et eut toutes les peines du monde à le consoler. Tous les voyageurs se regardaient inquiets, se demandant ce qui était en train de se passer. Quelques minutes plus tard, le train était complètement à l’arrêt. Quelqu’un cria : « On est arrêtés dans le tunnel ! » Un autre, en guise d’apaisement général, ne trouva rien de mieux que d’ajouter : « Ca m’est arrivé l’année dernière et on est restés coincés pendant six heures ! » « Mais non, intervint Julien, qui ne voulait même pas envisager une seconde cette idée, c’est sûrement une petite panne sans importance. » Il surprit le regard de sa voisine, visiblement très étonnée des mots qu’il venait de prononcer et qui le dévisageait comme s’il venait d’arriver d’une autre planète.

-          Quoi ? fit-il en la regardant, Vous avez une idée sur la question, Madame Je sais tout ?

-          Non, pas d’idée, juste… je me demandais par quel miracle vous avez pu prononcer à l’instant des paroles positives…

-          C’est sans doute parce que j’ai hâte d’être débarrassé de votre mauvais esprit…

-          Alors ça, c’est la meilleure. C’est moi qui fais du mauvais esprit ?

Julien n’eut pas le temps de répondre que la lumière s’éteignit. Le wagon était à présent plongé dans le noir complet.

-          Et voilà ! fit la voix fataliste de l’homme à qui la chose était déjà arrivée, ça recommence ! Quand je pense que j’ai failli prendre l’avion… c’est la dernière fois que je voyage en TGV !

« Il ne va pas se taire celui-là ? », pensa Julien, agacé.


A part lui, la plupart des voyageurs semblaient plutôt prendre leur mal en patience et attendaient tranquillement que le train reparte. Après un quart d’heure d’attente sans que personne n’ait reçu la moindre explication à ce qui était en train de se passer, les voyageurs commencèrent à allumer chacun leur tour leur téléphone mobile pour prévenir leurs proches que le train arriverait en retard. Bientôt tout le wagon fut doucement éclairé de petites lumières bleues. Mais chacun se rendit très vite compte qu’il ne parviendrait pas à prévenir qui que ce soit, puisque toute connexion était interrompue. Et pour cause, le train était à l’arrêt dans un tunnel…

Julien pesta intérieurement : « C’est bien ma veine ! »

-          Quelle poisse ! laissa-t-il bientôt échapper, pas de connexion non plus sur mon ordinateur ! »

-          Quelle poisse, en effet ! railla sa voisine. Vous êtes obligé de vous déconnecter plus d’une minute !

-          Quoi, ça vous fait rire, vous, cette situation ?

-          Et quand bien même ça me ferait pleurer, ça changera quoi ? Il faut patienter, c’est tout.

-           Pfffff… fut la réponse désespérée de Julien.

 

Ils patientèrent dans le noir une demi-heure, puis une heure, puis deux heures… sans que le moindre son de voix, dans le haut-parleur, ne leur communique la moindre information. Le chauffage ne fonctionnait plus non plus et les voyageurs commençaient à avoir froid, même après avoir revêtu plusieurs épaisseurs de vêtements récupérés dans les bagages. Au bout de trois heures d’attente, les uns s’énervaient encore à tour de rôle : « c’est scandaleux de nous laisser comme ça ! », d’autres, fatalistes, avaient compris qu’ils pouvaient d’ores et déjà faire une croix sur le réveillon de Noël et avaient décidé de dormir. Au moins, le temps passerait plus vite !


Soudain, la flamme d’une bougie s’éleva dans le noir, au coin gauche du compartiment, puis une autre, juste en face, puis une autre, encore plus près, et ainsi de suite tout le long de la rangée. Puis, une voix d’homme s’éleva du milieu du couloir :

-          Comme il est parfaitement évident maintenant que nous avons raté le réveillon de Noël cette année, je propose que nous le fassions ici. Qu’en pensez-vous ? Réunissons tout ce que nous possédons en aliments et partageons-le. Vous êtes d’accord ?

Dans un premier temps, seul le silence répondit à la voix pourtant enthousiaste de l’homme. Puis, peu à peu, du mouvement se fit ça et là dans le wagon. Finalement, tout le monde répondit oui à l’appel. S’aidant de la lumière de leurs téléphones ou de lampes-torches, les voyageurs fouillèrent dans leurs bagages et en sortirent pains de mie, pains d’épices, terrines, gâteaux de Noël, chocolat …et même du bon vin !

En peu de temps, une ambiance festive régna dans tous le wagon. L’un des voyageurs avait sorti de ses bagages un service à verres qu’il comptait offrir comme cadeau de Noël. A présent, les verres tintaient les uns contre les autres, et l’on entendait s’élever dans la joie les « Joyeux Noëls ! » de tous. L’un des voyageurs eut la bonne idée, lui aussi, de déballer l’un des cadeaux qu’il comptait offrir : un ours musical qui, dès que l’on appuyait sur un bouton, chantait « Petit papa Noël ». Dès qu’ils reconnurent la mélodie, tous les voyageurs se mirent à chanter à l’unisson.

A la grande surprise d’Alice, Julien se tourna vers elle et spontanément, lui souhaita un joyeux Noël. Elle lui répondit de bon cœur et lui offrit même un large sourire auquel il répondit aussitôt.

-          Puisqu’il est dit que je ne pourrai pas terminer mon rapport aujourd’hui… Si nous trinquions ? Lui demanda-t-il en levant son verre.

-          Avec plaisir, répondit Alice.

-          Alors Re Joyeux Noël… C’est comment votre prénom ?

-          Alice, et vous ?

-          Julien.

-          Alors Joyeux Noël Julien !

 Puis, ils se tournèrent en même temps vers la mère et son petit garçon, assis derrière eux et cette fois, levèrent chacun leur verre dans leur direction.


C’était étrange… En ces circonstances peu ordinaires où les voyageurs se retrouvaient pris en otage - à cause de la météo, selon toute hypothèse – il régnait une atmosphère détendue, bon-enfant, tous les visages étaient souriants, comme si, finalement cette situation était tout à fait normale.


Un petit enfant s’adressa à son père, de l’autre côté de la rangée : « Dis papa, elle va pas être fâchée tata Christelle, que tu aies ouvert son cadeau ? » « Mais non, ne t’inquiète pas, je lui en achèterai un autre », répondit le père, avec un sourire.

-          Mon papa, il est mort, déclara soudain le garçonnet donneur de coups de pieds.

Surprise et embarrassée, Alice se retourna et regarda la maman qui acquiesça d’un air gêné : « Oui, c’est vrai, Victor a perdu son papa. » Au même moment, le petit garçon de la rangée d’en face proposa à Victor de venir jouer avec lui, ce que le petit accepta aussitôt, tandis que sa maman faisait des efforts désespérés pour ne pas laisser couler ses larmes. Dès que le petit Victor eut rejoint l’autre enfant, Alice demanda en posant une main affectueuse sur celle de sa maman :

-          C’est récent ?

-          Il y a un mois, répondit-elle.

-          Et… serait-ce indiscret de vous demander ce qui s’est passé ?

-          Il s’est… suicidé. Il était…"burnout", comme on dit. Vous voyez ? Ce genre de situation qui vous arrive quand vous êtes trop accaparé par votre travail et tellement épuisé que vous vous sentez désespéré…

-          …

 

-          Il travaillait tout le temps… jour et nuit… toujours à tapoter sur son clavier… un peu comme vous, ajouta-t-elle à l’adresse de Julien. Il n’avait même plus de temps pour nous. Il était tellement obnubilé par son travail que nous avons fini par ne plus dialoguer entre nous. Dans un sens, je le comprenais, il se sentait harcelé. Mais d’un autre côté, je lui en voulais de ne pas laisser tomber ce travail qui nous pourrissait la vie à tous. Il ne me parlait déjà pas beaucoup… il a complètement arrêté de le faire. Résultat, le jour où il a fait une grosse erreur, il n’a pas pu se le pardonner, il n’a pas pu non plus m’en parler…et… vous connaissez la suite.

 

Julien et Alice restèrent silencieux, ils ne savaient quoi dire. Qu’auraient-ils pu dire qui puisse atténuer une si grande douleur ? Alice jeta un coup d’œil à son voisin et même si la pénombre l’empêchait de distinguer nettement les traits de son visage, elle fut surprise de son regard larmoyant. Il fixait le siège devant lui, figé, semblant perdu dans ses pensées.

-          Ca va ? s’inquiéta Alice.

-          …

-          Tout va bien ?

-          Oui… oui, oui, répondit-il, semblant se réveiller soudain d’un profond sommeil.

 

 

Mais Alice comprit que le récit de la maman l’avait profondément ému, ému même au-delà du raisonnable, et elle en éprouva beaucoup d’étonnement.

 

 

 

 

 

 A suivre...



20/12/2012
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