L'aube fleurie

L'aube fleurie

Les yeux

 


À Francisque Gerbault. 



Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux, 
Des yeux sans nombre ont vu l’aurore ; 
Ils dorment au fond des tombeaux, 
Et le soleil se lève encore. 

Les nuits, plus douces que les jours, 
Ont enchanté des yeux sans nombre ; 
Les étoiles brillent toujours, 
Et les yeux se sont remplis d’ombre. 

Oh ! qu'ils aient perdu leur regard, 
Non, non, cela n’est pas possible ! 
Ils se sont tournés quelque part 
Vers ce qu’on nomme l’invisible ; 

Et comme les astres penchants 
Nous quittent, mais au ciel demeurent, 
Les prunelles ont leurs couchants, 
Mais il n’est pas vrai qu’elles meurent. 

Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux, 
Ouverts à quelque immense aurore, 
De l’autre côté des tombeaux 
Les yeux qu’on ferme voient encore. 

 


 

Sully Prudhomme
Stances Et Poèmes

 

 

 

 




01/02/2012
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